samedi 31 mars 2012

Au fond, c'est la même chose

– Pierre, c'est très bien de donner aux mendiants et tout ça, mais maintenant, il faut que tu te concentres sur ta famille, il faut que tu sois là, que tu sois un soutien pour eux.

– Mais, Ricardo, tu sais, au fond, c'est la même chose.

vendredi 30 mars 2012

Le jour de la mort d'Angelopoulos

Dans l'agenda de bébé offert par Dellon, Celia a noté le jour de la mort d'Angelopoulos.

jeudi 29 mars 2012

Une ruelle de montagne

Une note, de 2007:

"Maman montait une ruelle en escalier, très étroite, dans un village de montagne. Elle était accompagnée d’un Chessex un peu tendu et grognon et ils allaient à un enterrement – je m’en rends compte maintenant, c’était sans doute celui de papa. Le natel de maman n’arrêtait pas de sonner, ce qui énervait Chessex. J’ai essayé d’arranger ça mais des photos assez sombres n’arrêtaient pas de passer sur son écran."

mercredi 28 mars 2012

"Ayant médité la douceur et la pitié"

"Ayant médité la douceur et la pitié,
J'ai oublié la différence entre moi et les autres.
Ayant médité mon lama au sommet de mon âme,
J'ai oublié ceux qui commandent par l'influence.
[...] Ayant oublié cette vie et l'au-delà,
J'ai oublié la crainte de la naissance et de la mort.
Ayant goûté les joies de la solitude,
J'ai oublié l'opinion de mes frères et de mes amis.
Ayant composé des vers pour la descendance,
J'ai oublié de prendre part aux polémiques de doctrines.
Ayant médité sur ce qui n'a ni commencement, ni négation, ni lieu,
J'ai négligé toutes les formes et les conventions.
Ayant dédaigné sans feinte le discours,
J'ai oublié l'usage de l'hypocrisie.
Ayant choisi le corps et le langage des humbles,
J'ai oublié le dédain et l'arrogance des personnages importants.
Ayant fait de mon corps mon propre monastère,
J'ai oublié le monastère de la cité.
Ayant adopté l'esprit sans la lettre,
J'ai oublié de disséquer les mots."

Milarepa

mardi 27 mars 2012

Se distraire avec son esprit

Ce que me disait Marcel: le bonheur suprême de parvenir à se distraire avec uniquement son esprit. Même plus besoin de livres, peut-être même de carnet.

lundi 26 mars 2012

Il faut le faire, comme ça, pour rien


Si vous demandez à Gustavo – pardon, à Aoki Sensei – à quoi ça peut bien servir de répéter 700'000 fois NA MAN DA BU, il vous répondra certainement: "à rien, il faut le faire parce qu'il faut le faire."

dimanche 25 mars 2012

La dernière virgule en trop (ou en pas assez)

Une fois tracée – ou rajoutée, je sais plus très bien – la dernière virgule en trop ou en pas assez du Bergstamm, je lève les bras au ciel comme un vainqueur du Tour de France: yahaah!

Manuel traverse la Tolva et vient me serrer la main:

– Alors, c'est bon, c'est fini? Tu vas l'envoyer à ton éditeur?

– Je vais d'abord l'envoyer à une agente que j'ai rencontrée ici, histoire de voir ce qu'elle en pense. Si ça lui plaît, c'est elle qui va s'occuper de prendre contact plus loin, et si ça lui plaît pas plus que ça, eh bien, tu vois, je vais me mettre à faire plein de jolies petites enveloppes...

– Et... tu vas revenir?

– Bien sûr, mais pas ces deux prochaines semaines. Là, je vais faire une retraite dans un temple bouddhiste: on chante 700'000 fois le mantra de notre école, non-stop, et puis c'est fini. NA MAN DA BU, NA MAN DA BU, NA MAN DA BU...

– Alors: suerte hermano!

samedi 24 mars 2012

Swiss Medical: le change s'améliore!

– Hola. J'aimerais payer ces deux factures en dollars, s'il te plaît, même si le change est super mauvais.

– Je t'avais dit que t'avais pas intérêt à faire comme ça...

– Qu'est-ce que tu veux: avec ce que nous prennent les bancomats au passage, on sort encore gagnant, alors tu vois...

– Le cours d'aujourd'hui est à 4.33, ce qui nous fait donc, pour 1990 pesos...

– Formidable! Le change s'améliore!

– La dernière fois, c'était à 4.29, non?

– Quelle mémoire! Pendant qu'on y est, une petite question: si on part à l'étranger, disons trois mois, comment on fait pour payer en avance?

– Ce que nous te proposons, chez Swiss Medical, c'est soit de payer l'année en entier, soit de payer par mois. Dans le genre de cas dont tu parles, les gens font un dépôt dans une de nos succursales: il faut penser à une somme un petit peu plus grande que l'ensemble de la période réglée en avance, au cas où il y aurait, ce qui arrive malheureusement de temps en temps, une augmentation d'un mois à l'autre...

– Bien entendu. Un peu plus grande comment?

– Un peu plus grande. On te déduit les mois où tu es loin de la somme que tu as déposée et le tour est joué! Je finis juste de noter le numéro de série de tes billets et je te donne ton reçu. Si je te rends la monnaie en pesos, ça te va?

vendredi 23 mars 2012

Un franc est un franc

– Tu sais, la première fois que je suis allé en Suisse, j'ai vraiment cru que je m'étais fait arnaquer!

– Ah oui?

– On m'a rendu la monnaie avec une pièce de 1932: j'étais sûr qu'on m'avait refilé de l'argent qui valait plus rien...

jeudi 22 mars 2012

Ces choses qu'on garde au cas où

– Monsieur Pierre, vous avez besoin d'une baignoire?

Gustavo part dans la remise du Furaibo, je l'entends déplacer quelques caisses, et il réapparait derrière le bar avec une vieille baignoire en plastique, grise et bleue, qu'il se met à laver à grande eau dans l'évier.

– Ah, ces choses qu'on garde au cas où, ces choses qu'on n'arrive pas à jeter...

Il continue à la frotter avec de petits gestes énergiques et précis.

– Oups, je crois qu'on va pouvoir la jeter pour de bon: elle a un trou...

mercredi 21 mars 2012

Cyberculture argentine

A Buenos Aires, quand il s'agit de connexions, en général on va au plus simple. Des envies d'Internet à haut débit? Pas de problème: une équipe de techniciens débarque sur le toit de votre immeuble, branche un long câble dans une petite boite prévue à cet effet et laisse pendouiller le tout jusqu'à votre fenêtre. Un piton, un petit trou dans le mur et le tour est joué: votre modem est branché sur le monde.

Effets collatéraux de cette manière de faire, des oeuvres d'art immenses et improbables voient le jour dans les lieux les plus inattendus. Par exemple ces lignes qui s'entrecroisent devant les nuages entre les gratte-ciels du Micocentro, câbles que j'ai tout le temps d'admirer par une des fenêtres des très haussmanniennes galeries Güemes étant donné que, je dois me rendre à l'évidence, je suis le seul du groupe à ne pas avoir compris que le cours de yoga, cette semaine, se donnerait mercredi et pas mardi.

mardi 20 mars 2012

Ouhouh, je suis là!

– Ouhouh! Je suis là! Je suis là!

– Bonjour...

– Elles sont pour qui, ces belles fleurs?

Je mets un genou à terre et je tends mon bouquet à cette femme entre deux âges qui vient d'apparaître, là, juste à côté de moi, à sa fenêtre du rez-de-chaussée.

– Elles sont pour ma femme, enceinte de sept mois.

– Quelle chance! Comme elles sont belles! Moi, chaque fois que je vois un homme dans la rue avec des fleurs, je lui dis "ouhouh, je suis là!" T'es de quelle origine? Français?

– Suisse, mais je parle français.

– Ah! Je t'aime! Comment ça s'écrit? Y, e...

– Non, ça commence avec un j: j, e, espace, t, virgule, mais une virgule en l'air... Comment on dit déjà?

– Apostrophe?

– Oui, c'est ça! Apostrophe, a, i, m, e.

– Tu pourrais me l'écrire ici?

Elle me fait un grand sourire édenté et me tend son portable à travers la vieille grille en fer forgé. Je lui écris "je taime" parce que je ne trouve pas l'apostrophe.

– Là, il faut juste rajouter l'apostrophe. À part ça, moi c'est Pierre. Et toi?

– Mireilla. T'habites dans le coin?

– Sur Acoyte, à deux blocs.

– Si t'as besoin de quoi que ce soit, je suis là!

– Ça roule! À bientôt!

lundi 19 mars 2012

La tête la première

Le petit être en pension dans le ventre de Celia est assis et il est très bien comme ça.

Reste qu'il faudrait qu'il pense à se retourner, parce que, dans un bon mois, il va devoir faire ses valises et que, pour un petit bébé, c'est quand même mieux de sortir la tête la première.

Vu que la perspective de la césarienne n'enchante qu'à moitié ma très chère compagne, elle a passé une bonne partie de l'après-midi à quatre pattes sur notre lit, histoire de laisser au petit locataire, à la petite locataire, l'échographiste a pour le moment tenu sa langue, toute la place nécessaire pour s'essayer à la culbute.

Je glisse notre gros bol du Népal sous le ventre de Celia et je me mets à donner des petits coups, booong booong booong, avant de poser mon menton sur le coccyx de ma douce, mes deux mains sur ce bébé au moins aussi têtu que ses deux parents réunis et d'essayer, comme je peux, de le convaincre de plier un peu les jambes, de monter un peu les fesses et de glisser gentiment sa petite tête entre les ischions de ma tendre épouse, dix centimètres, tu sais, c'est fait pour que ça passe, les ischions de sa mère aimante et désireuse, ô combien, de pouvoir participer tout entière à son enfantement.

dimanche 18 mars 2012

Une petite place au soleil

Celia, qui a appris au dernier cours sur l'allaitement que mettre ses tétons au soleil cinq minutes par jour aidait à les préparer aux assauts de bébé, se met à chercher une position pour profiter de ces rayons du début d'après-midi qui baignent le parquet, juste au bord de la porte-fenêtre du salon.

Assise sur le fauteuil de lecture? Zéro partie du corps ensoleillée.

Assise par terre en tailleur à côté de la fenêtre? Un bout de cuisse au soleil.

Couchée sur un linge, le dos le long de la fenêtre? Une bonne moitié du sein gauche.

Couchée perpendiculaire à la fenêtre? Son nez, son grand sourire et un bout du menton.

L'idéal serait de pouvoir poser la tête sur le balcon avec la nuque appuyée sur le rail de la porte-fenêtre, mais c'est pas exactement des plus confortable et puis bon, la tête sur le balcon...

Alors, résultat des courses: ça sera pour un autre jour, si possible avant midi, à l'heure où ce sacré soleil – qui a la drôle d'idée, ici, de briller depuis le nord – donne encore dans notre chambre à coucher.

samedi 17 mars 2012

Le nembustu du tyrannosaure

En sortant du Furaibo au petit matin, la gorge encore en feu après cette nuit passée à entonner des mantras et cette soupe à réveiller un mort que notre bon sensei nous a servie en guise de petit-déjeuner, on tombe par hasard sur Maude en train de de fouler d'un pas alerte les vieux pavés d'Alsina en direction du métro et de ses cours de biologie.

Non, elle n'a pas pu entrer sur la page de la galerie pour voir à quoi allait ressembler le vernissage. Et le lien du site d'Horacio que je lui ai envoyé pour qu'elle puisse se faire une idée? Elle va y jeter un oeil dès que possible! Bonne journée! Peut-être à ce soir!

En courant pour rattraper Nora et Gustavo qui sont déjà presque arrivés à la place de Mai, je pense au dinosaure de Furai campé fièrement à côté des photocopies de soutras reliées avec des spirales, juste sous le portrait de Shinran, ce terrible tyrannosaure en plastique, la gueule pleine de dents ouverte vers le ciel, qui entonnait le nembutsu en choeur avec notre joyeux petit groupe et qui nous motivait à sa manière, surtout vers les quatre heures, quand même les rafales de taikos n'empêchent plus personne de piquer du nez à tour de rôle.

jeudi 15 mars 2012

Ces étés qui passent à l'envers

Une note écrite en plein milieu d'un de ces étés argentins qui me semblent toujours passer à l'envers, même cinq ans plus tard:

"Je viens de terminer les lettres de Joyce: c’est comme s’il était mort de nouveau. La dernière était en allemand, destinée au maire de Zurich pour le remercier pour son accueil.

Tout d’un coup, quelque chose m’a amené en hiver, là où la Limmatt se jette dans le lac, juste de l’autre côté du pont, en face de Bellevue."

L'ombre par écrit

– Mais, Sensei, quand on regarde au fond de soi et qu'on voit toute cette ombre, on en fait quoi?

– Plus l'ombre que vous voyez est sombre, plus la lumière qui l'éclaire est puissante. Sans lumière, il n'y aurait que la nuit.

– Est-ce que c'est important de formuler par oral ou par écrit ce qu'on découvre?

– Oui, très. On oublie vite ce qu'on pense, un peu moins ce qu'on dit ou ce qu'on écrit.

mercredi 14 mars 2012

Va faire ta pauvre ailleurs!

Quel plaisir de pouvoir faire le bien autour de soi, de se sentir partie de l'univers à travers le geste si simple de donner un peu d'argent à ce parfait inconnu que la vie a mis sur ma route!

Ce matin, par exemple, en allant chez le kiné, cette pauvre petite vieille assise sur son seuil avec son châle, si modeste, qui tend sa main tellement discrètement qu'on la remarque à peine: hop, un petit billet. Ce vieux monsieur avec ses beaux yeux bleus, pétillants, et son gobelet en plastique: hop, un autre billet.

Mais, au retour, cette maman avec son vilain sourire hypocrite et son petit enfant sale juste pour faire pitié, ce dernier gros billet de 100 pesos bien au chaud dans ma poche, elle peut toujours courir pour l'avoir.

mardi 13 mars 2012

La tactique du peloton

Je soupçonne les conducteurs de toutes les lignes de bus de Buenos Aires – en particulier ceux de la ligne 92 – de se mettre d'accord pour faire les trajets par groupes de trois, si ce n'est de quatre ou même cinq, histoire de pouvoir faire un brin de causette à chaque feu rouge en ouvrant cette porte par laquelle montent habituellement les passagers en tendant aimablement leur carte SUBE vers le lecteur – 1.25 s'il te plaît, bip, merci – ou leurs pièces de monnaie vers le distributeur situé juste derrière le fauteuil dudit conducteur.

Le principal inconvénient de la tactique du peloton, pour le modeste passager s'entend, c'est qu'il faut en général attendre vingt bonnes minutes à côté d'une pancarte accrochée à un arbre avec un fil de fer en se demandant si toute cette belle avance prise par précaution – après tant d'années, on ne nous la fait plus – était bien suffisante.

Son principal avantage réside quant à lui dans la rapidité accrue du trajet, rapidité susceptible à elle seule de réduire en grande partie le retard abyssal pris au départ, d'autant plus que, tant que le bus est plein, c'est-à-dire tant que les passagers accumulés à côté du chauffeur ne permettent même plus d'ouvrir la fameuse porte qui rend possible la communication entre les différents véhicules – voir plus haut –, et que personne n'a le mauvais goût de demander un arrêt, le bus en question continue sur son élan d'une seule traite, sauf, bien entendu, si le chauffeur passe justement devant le kiosque où d'ordinaire il achète ses clopes, son journal, son Coca ou ses empanadas, kiosque en général stratégiquement situé à la hauteur d'un des arrêts officiels de la ligne en question.

Alors, le chauffeur, assoiffé, affamé, aux doigts transpirants et gourds jaunis par la nicotine, doit faire des épaules entre ses chers passagers – désolé, pardon, pardon – avant de remonter quelques secondes plus tard dans son cockpit, en règle générale décoré de miroirs taillés en biseau voire de néons bleus ou roses, pour continuer sa folle chevauchée à travers le diabolique enchevêtrement tissé par les différentes compagnies de transport public, embrouillamini savant qui ne commence à livrer ses secrets au simple mortel qu'au bout d'un minimum de deux à trois semaines – faites-moi confiance, ce n'est pas un chiffre en l'air – d'usage acharné.

lundi 12 mars 2012

C'est décidé, ça sera Sorpresa

– Alors, vous allez tout acheter en vert?

– En vert?

– Ben oui, pour les habits du bébé...

C'est vrai, j'oubliais qu'ici, pour les garçons, c'est bleu clair, et pour les filles, c'est rose. Si on ne sait pas encore si ça va être une fille ou un garçon, Madame la boulangère, ce n'est pas parce que la charmante échographiste n'a pas été fichue de voir ce qu'il fallait voir – au contraire, on doit à chaque fois lui rappeler de surtout pas cafter... –, mais c'est tout simplement parce qu'on préfère avoir la surprise, voyez-vous.

Alors, si j'ai bien compris, il nous reste vert, jaune et blanc. Le noir avec des petits squelettes, même si ça commence à être tendance dans les familles branchées de Palermo, je crois qu'on va laisser ça, j'imagine que vous serez d'accord avec moi, pour un peu plus tard.

– Et les prénoms, vous avez pensé à des prénoms?

– Oui, bien sûr! On a décidé de faire local: si c'est une fille, elle va s'appeler Sorpresa, et si c'est un garçon, aussi!

Surprise, c'est joli comme prénom, non?

dimanche 11 mars 2012

Le foot, moi, je veux bien, mais bon

Que les fans de San Lorenzo aient envie de récupérer leur stade historique, je veux bien.

Que cette expropriation pendant la dictature pour les envoyer taper dans leur ballon aux portes d'un bidon-ville à perpète les oies soit un scandale, je veux bien.

Que de voir ce Carrefour construit à la place de leur lieu de culte être mis en pièce par des pelles mécaniques nourrisse à la fois leur nostalgie et leur soif de revanche, là aussi, je veux bien.

Mais est-ce qu'ils étaient absolument obligés, encadrés par des escouades de flics antiémeutes, de remonter à pied le long de Rivadavia entre la place de Mai et l'avenue de la Plata – quatre kilomètres! – en me bloquant une demi-heure dans mon taxi à l'aller, ce taxi que j'avais justement pris pour ne pas arriver trop en retard à l'atelier d'écriture en sortant du cours de préparation à l'accouchement, et une demi-heure au retour, dans la voiture de Claudio, entre tous ces conducteurs prêts aux manoeuvres les plus surprenantes pour gagner quelques mètres dans une des files de cette interminable Rivadavia bercée, loin devant nous, par les gyrophares des paniers à salade?

Quand je suis finalement arrivé à la jam, Lalo n'avait heureusement pas encore commandé les empanadas. Il faut dire que tout ce formage fondu, froid, c'est vraiment pas terrible.

samedi 10 mars 2012

Un petit tango?

– Ça va?

– Ouais... plus ou moins.

– Tu veux danser un petit tango avec moi?

On se met à danser sur le parquet de notre salon, en pantoufles, sur le dernier morceau de ce CD de Piazzolla que Celia a mis quand je suis rentré de chez mon cher Leveratto, ce Sur qui se glissait jusqu’à notre lit où je me suis couché dans ce vendredi soir d'été humide et lourd, ce Sur qui me rendait triste et qui, petit à petit, se mettait à me dire que ma vie était ce qu'elle était, rien de plus, rien de moins, que c'était très bien comme ça.

Nos ventres se frottent l'un contre l'autre. Il faut choisir entre les pas qui peuvent se faire et ceux qui demanderaient plus de place, ceux qu'on n'a pas encore oubliés et ceux qui auraient besoin de meilleures chaussures que ces pantoufles d'hôtel que Celia vient de perdre, ces pantoufles blanches qu'elle va rechercher sous notre table à manger qui est aussi notre bureau.

Alors on recommence à danser, tout doucement, joue contre joue, jusqu'au dernier accord de cet enfoiré de Piazzolla.

vendredi 9 mars 2012

Eh! T'as laissé tomber un truc!

En revenant du kiné, je vois une vieille dame laisser tomber discrètement deux vieux mouchoirs en papier.

– Madame! Je crois que vous avez perdu quelque chose!

Ma tentative d'inculquer à cette sauvage un brin de ma si bonne éducation, bien entendu, n'est pas suivie du moindre effet. Il faut dire qu'il est répandu, ce petit geste, la main derrière les fesses et le regard en l'air, et ce même si notre cher Macri a fait mettre des poubelles rutilantes un peu partout.

J'ai déjà fait preuve de velléité civilisatrice, l'autre soir, à la "terrasse" du Sciario – derrière les guillemets, il faut imaginer un trottoir pas très large à partager tant bien que mal avec des passants par chance la plupart du temps conciliants –, quand un chauffeur de taxi, arrêté à ce feu rouge qui assaisonne aux hydrocarbures notre pizza uruguayenne, a jeté un paquet de Marlboro juste à côté de nous.

– Eh! T'as laissé tomber un truc!

Je me suis levé ostensiblement, je me suis baissé non moins ostensiblement, j'ai ramassé le paquet et je l'ai posé bien en évidence au bord du bac à fleurs à côté de nous. Évidemment, pas un regard, et le type a démarré aussi sec.

C'est en voyant la belle poubelle orange de Macri, quelques blocs après ce charmant souper en amoureux typique de notre adorable mégapole, que je me suis rendu compte, à mon grand regret, que j'avais oublié le paquet de clopes, là-bas, tout là-bas, en équilibre sur le bord du bac à fleurs.

jeudi 8 mars 2012

Les mêmes visages, ici et là-bas

Une note de 2007, nos premiers mois à Buenos Aires:

"Hier soir, au vernissage du livre, beaucoup de visages qui reprenaient ceux de Lausanne.

Familiarité déséquilibrante – mais l’adjectif n’est pas le bon."

mercredi 7 mars 2012

Deux doigts de détachement

Quand Gustavo a dit qu'à moment donné, pour pouvoir continuer à avancer, il fallait tuer le maître et même tuer Bouddha – le détachement, ah là là, toujours le détachement –, j'ai fait un flingue avec deux doigts et j'ai passé mon autre main dessus pour le charger.

Depuis je suis sorti du Furaibo, pendant tout le trajet en taxi à côté ma chère future victime, pendant les quatre blocs le long d'Acoyte jonché des sacs-poubelle éventrés par les cartoneros, pendant que notre ascenseur taquin redescendait du cinquième étage pour lequel il s'est pris d'affection au point d'y remonter, systématiquement, avec enthousiasme, sans que personne ne lui ait rien demandé, depuis cette petite heure que le texte de l'entrée d'aujourd'hui s'est mis à tourner dans ma tête, j'essaie de me rappeler le prénom de cette avocate qui vient presque à toutes les rencontres et à qui j'ai fait un clin d'oeil en soufflant sur mes deux doigts encore fumants histoire de me rassurer sur la finesse de mon gentil petit gag.

mardi 6 mars 2012

Le hasard, c'est sélectif

À la station d'Acoyte, j'ai l'impression d'entendre une petite voix qui dit

– Pierre, Pierre!

Comme j'ai de la peine à penser que c'est pour moi, je ne me retourne pas tout de suite. Et quand je finis par me retourner quand même, plus par curiosité – mais qu'est-ce qui aurait bien pu me faire penser que quelqu'un disait "Pierre, Pierre"? – qu'autre chose, je vois Ariel avec son fiston Lautaro. Ils sont venus dans ce quartier, pas mal éloigné de ce trois pièces de Constitución où on se retrouve tous les jeudis soir pour l'atelier d'écriture, poussés par des raisons nébuleuses – j'ai d'abord cru que c'était un problème de langue, mais j'ai fini par me dire que pas forcément – dont je finis par comprendre, après avoir demandé quelques éclaircissements, qu'elles ont à voir avec une visite de Lautaro chez la psychologue.

Pendant notre trajet dans notre ma foi fort bruyant subte A – sans doute pas beaucoup plus bruyant qu'un autre, mais ses parois en bois sont fines, ses trous dans le plancher de plus en plus nombreux et, surtout, toutes ses fenêtres sont grandes ouvertes histoire d'imiter à moindre coût une climatisation qui ne servirait de toute façon pas à grand-chose vu l'état de ces wagons juste bons à être exhibés dans des sorties thématiques dominicales du style "gardons vivants les trésors de nos musées" –, je hurle à Lautaro qu'on ne croise, finalement, que les gens qu'on connaît: les milliers d'autres dans la journée, on ne s'en souvient même pas, c'est à peine si on les remarque.

Le hasard, au fond, c'est quand même vachement sélectif.

lundi 5 mars 2012

La petite reine au pouvoir

En sortant de chez nous, on se retrouve au bord d'une marée de cyclistes qui remontent Acoyte. Plusieurs centaines, plusieurs milliers, difficile à dire. Beaucoup de vélos de toutes les formes, certains très longs, pédalés presque à l'horizontale, d'autres très hauts, qui dépassent d'un bon torse le reste des mountain bikes et de ces vélos increvables à une seule vitesse dont le guidon fait une courbe généreuse au creux de laquelle est souvent installée une belle demoiselle – quand cette dernière n'est pas assise en amazone sur le cadre ou debout sur l'axe de la roue arrière, les mains fièrement posées sur les épaules de son chevalier du bitume.

À l'évidence, les petites reines ont pris le pouvoir sur la ville.

Est-ce que c'est un coup de pub de Macri, notre cher maire à la Bernard Tapie qui a fait des pistes cyclables son cheval de bataille? Il mène en ce moment une campagne d'affiches avec des slogans évocateurs du genre "aller en vélo, ça fait du bien, même à ceux ne qui vont pas en vélo: un siège de libre dans le bus" ou "aller en vélo, ça fait du bien, même à ceux ne qui vont pas en vélo: un klaxon en moins dans les rues de ton quartier". C'est vrai que, pour ce qui est des déplacements, on aura peut-être intérêt à s'en acheter un de vélo: Marci vient justement de "rendre" les métros de Buenos Aires à Cristina Fernández de Krichner, Présidente de la Nation devant l'Éternel, qui essaie généreusement de lui en refourguer la responsabilité depuis plusieurs mois...

Naturellement, aux carrefours, les gens commencent à s'énerver: ça ferait "plus de trois quarts d'heure" que ça dure... En traversant Aranguren, on voit trois cyclistes en train de bloquer le passage pour laisser le champ libre au joyeux cortège. Quand le conducteur de la première voiture se met à faire rugir son moteur – vroum vroum – avant d'avancer en distillant avec art ces inimitables à-coups centimétriques, langage habituel du conducteur local signifiant grosso modo "tire-toi de là ou je t'écrabouille, mais je préférerais ne pas me compliquer la vie en salissant ma carrosserie", un des membres du service d'ordre improvisé demande à son compagnon de chevauchée urbaine de prendre une photo de la plaque de l'énervé – qui se calme illico – avec son Natel. Les randonneurs du dimanche peuvent  alors continuer sans crainte à remonter l'avenue en agitant les bras, tout sourire.

En traversant Vallese, la rue suivante, autre cas de figure: deux ambulances donnent de la sirène pour forcer le passage. Dans cette capitale de l'improvisation, les voitures arrêtées au feu se mettent en général à jouer du klaxon, à se pousser sur les côtés et, si possible, à en profiter pour passer au rouge, comme ça, dans la foulée, l'air de rien, laissant du même coup, bel altruisme, le champ libre à l'ambulance qui peut alors se glisser au milieu du carrefour en faisant preuve d'une prudence toute relative.

Au milieu du croisement qui nous intéresse ici, fait extraordinaire, un flic essaie comme il peut de régler la circulation en déviant sur les rues parallèles bus, taxis et autres voitures qui viennent en sens inverse: heureusement pour lui, les cyclistes font preuve d'assez de bonne volonté pour céder le passage au convoi médical avec ses stridences aux modulations variées.

Celia, qui suivait des yeux la deuxième ambulance en train de remonter cahin-caha le flot festif et nonchalant des deux-roues, se retourne vers moi et me dit tout de go:

– Maintenant, je sais pourquoi je veux pas accoucher à la maison. T'imagines? T'as besoin d'une ambulance au dernier moment et on te dit: "Non, vous voyez, ça va pas être possible: y a des cyclistes plein la rue..."

dimanche 4 mars 2012

La Tolva sur le Net

En cherchant, il y a quelques jours, le site de la Tolva sur le Net pour voir jusqu'à quelle heure ils étaient ouverts – oui, je sais, j'aurais aussi pu descendre et marcher 50 mètres... –, je suis tombé sur une des entrées de mon blog où je parle de mon nouveau repaire.

Ça m'a fait tout drôle, là, comme ça, de me dire que la plupart des mots que j'écris sont autant de portes dérobées prêtes à s'ouvrir toutes grandes, au hasard de Google, en plein milieu des tribulations erratiques de Peu importe où...

J'espère de tout coeur que l'entrée que vous êtes en train de lire va donner un bon coup de fouet à mon classement, parce que la recherche que je viens de faire pour me rassurer sur la pérennité des liens unissant mes chers écrits à ma Tolva non moins chère s'est révélée, je dois l'avouer, particulièrement mortifiante.

samedi 3 mars 2012

L'inénarrable flaque sans flaque

Les trottoirs de Buenos Aires, zone intermédiaire entre le public et le privé nettoyée avec abnégation, en choeur, matin après matin, par les concierges des innombrables immeubles de la ville munis chacun d'un pauvre tuyau de jardinage au débit ridicule agité négligemment en attendant que les différents débris répartis le long de ces quelques mètres carrés daignent prendre le chemin du caniveau, les trottoirs de Buenos Aires, disais-je, perpétuent une étrange tradition: plutôt que de céder au triste pragmatisme du bitume uniforme, ils sont recouverts de petites dalles dont la forme et la couleur sont laissées, dans les limites de leur budget tout comme de leur goût, au bon vouloir des différents architectes.

Il se trouve que, par la force des choses et surtout de l'appui répété de nombreux talons, ces dalles finissent parfois, ô malheur, ô désespoir, par se desceller. Certaines, visiblement fendues, entourées d'une auréole suspecte, sont faciles à éviter: un véritable jeu d'enfant. D'autres, beaucoup plus sournoises, ne montrent quant à elles pas le moindre symptôme de leur état de délabrement et ce n'est que lorsqu'on les écrase d'un pas gaillard qu'on reçoit, accompagné d'un juron bien senti, un jet d'eau grisâtre qui en général aboutit dans la chaussure voisine et qui parfois, si toutes les conditions sont réunies, peut parvenir à tacher des mollets à la taille un beau pantalon tout propre.

Plus désagréable encore en hiver, cette calamité – nommée fort à propos par Jean-Luc, lors de son amicale visite, la flaque sans flaque – atteint de telles proportions qu'elle en est venue à bénéficier du rare privilège de figurer en bonne place dans les paroles d'un tango: "Igual que baldosa floja, salpico si alguien me pone el pié – Comme une dalle branlante, j'éclabousse si quelqu'un me marche dessus!"

vendredi 2 mars 2012

Une chose après l'autre

En chemin, je me suis arrêté devant les vitrines des agences immobilières, comme ça, pour voir. Pour louer un quatre pièces, il nous faudrait 600 francs par mois, peut-être 700. Pour en acheter un, 120'000. Mais déjà qu'on vient de faire, presque coup sur coup, trois achats extraordinaires, on ne va pas s'emballer non plus.

Nous avons finalement opté, ne cédant pas aux sirènes de la mode, pour un vieux modèle de tirette à commission en métal aux allures soviétiques: gage infaillible de qualité, beaucoup de petites vieilles du quartier ont exactement le même. Malheureusement, je n'ai pas encore le bras tout à fait assez long pour la tirer derrière moi: je me roule sur les talons tous les trois ou quatre pas et nos yogourts – chez le Chinois du coin, pas plus de cinq ou six parfums, mais on peut se consoler en se disant qu'on a le choix entre plusieurs marques... – menacent à chaque fois de se retrouver au beau milieu d'Avellaneda.

Notre balance électronique est bleue, toute plate, et marquait 93.5 kilos à la première pesée il y a... un mois. Rodo m'a demandé de faire un pointage, tous les vendredis, pour voir les progrès grâce aux deux heures de gym qu'il nous donne en échange de cours de français et sa maîtrise des prépositions, c'est un fait, s'améliore à vue d'oeil.

Dernière folie en date, notre bibliothèque en pin ne nous a, pour sa part, pas encore été livrée. Par un hasard – nota bene: les guillemets seront dorénavant systématiquement sous-entendus lors de l'emploi de ce terme – dont cette ville a le secret, on est descendus du bus – des ébénistes pas chers? Rivadavia vers les 7500... – pile en face du magasin où on avait fini par trouver, il y a cinq ans, notre longue table et nos six chaises. Mais ça, c'est une autre histoire.

jeudi 1 mars 2012

Un yogourt aux noisettes

– Tu veux quoi comme dessert?

– Moi, je prendrais bien un yogourt aux figues de la Migros.

– Et moi, aux noisettes, bouhouhou... Snif!