lundi 29 février 2016

Des maîtres sous la main

- Elle a redit la kinésiologue que nos deux enfants étaient là pour nous faire bouger, c'était net. Et puis elle a précisé: surtout votre mari. Alors, tu vois, pas besoin d'aller chercher des maîtres à l'autre bout du monde: tu les as là, sous la main!

dimanche 28 février 2016

Le jeu des paires

Quand elle est allée voir tante Pierrette aux Jardins de la plaine, maman a emprunté à Ineo le jeu des paires qu'il avait hérité de Lucie.

A chaque fois deux pièces de puzzle de la même couleur: la souris et le fromage, le chien et l'os, les abeilles et les fleurs.

C'était devenu trop difficile pour Pierrette, mais elle était de bonne humeur et arrivait parfois à terminer les mots que maman commençait. 

samedi 27 février 2016

Rencontrer le poids du texte

- Mais, en fait, tu veux raconter l'histoire de quoi?

Commencer comme ça et puis descendre, descendre, tout en allant vers l'autre, trouver les mots qui vont l'aider à rencontrer le poids du texte, son sens, sa nécessité.

vendredi 26 février 2016

Ecrire sur une autoroute

Une note, de 2009:


"Au milieu de la nuit, je me suis réveillé avec la certitude que je ne devais pas écrire ce que j'étais en train d'écrire, que ce qui m'attendait était beaucoup mieux, beaucoup plus important, que je devais écrire sur une autoroute dans le canton d'Appenzell, quand on avait fait ce grand tour en moto avec Arnaud et qu'on était tombé par hasard sur le village où papa avait sa maison de vacances, cette maison que je n'avais vue qu'une fois et qu'on a dû chercher dans le dernier soleil, rue après rue, pendant une bonne heure."

jeudi 25 février 2016

Un demi-monde

Une note, de 1998:


"Tu me dis que ton ventre n'a jamais eu d'autre forme, qu'il est un demi-monde, que la vie ne pouvait se présenter d'une manière différente."

mercredi 24 février 2016

Buenos Aires change de couleur chaque soir

Une note, de 2013:


"À chaque fois, une approche différente. Découverte, mystique, hiérarchie, pragmatisme.

Gustavo qui a mal au genou. Faire beaucoup de mantras, techniquement, pour faire avancer tout ça. Trouver les mots au fur et à mesure pour expliquer ce qui arrive.

Monastère niche à chiens de Gurdjieff: Buenos Aires aussi change de couleur chaque soir."

mardi 23 février 2016

La vie tourne autour de la terre

- La vie, elle tourne autour de la terre.

- La vie, tu as dit la vie?

- Ben oui, la vie, tout autour de la terre!

- C'est beau ce que tu dis, c'est très beau!

lundi 22 février 2016

Le bec de la poule



- Le bec de la poule ne revient jamais bredouille du sol.

dimanche 21 février 2016

Une demi-heure à jeter des cailloux

Tout d'un coup, je me rends compte que je sens l'odeur de l'air sans effort.


C'est sans doute parce que je viens de passer une demi-heure à jeter des cailloux dans le lac avec les enfants.

samedi 20 février 2016

Depuis ce qui est

En relisant mes notes prises lors de l'enseignement d'Okamoto Sensei, je retrouve de la bienveillance envers les autres et envers moi.

Pas question de se débarasser des passions et des désirs: ils sont de puissants moteurs pour mieux nous connaître, pour devenir meilleurs et pour finir par nous passer d'eux.

Pareil pour la colère: elle est un trésor qui nous habite et nous porte, mais, comme les trésors, il faut la garder jalousement pour soi et la montrer le moins possible aux autres.

Un bouddhisme qui construit systématiquement depuis ce qui est en partant du principe simple que c'est le meilleur matériau à disposition. 

Apprendre à lire dans ce que je suis devenu le sens de ce que je vais devenir. Ne pas chercher à me changer, mais à mieux orienter les forces qui m'habitent pour que le changement s'opère de lui-même, par la force des choses.

Tout ce dont j'ai besoin pour progresser a déjà été déposé en moi: c'est en croyant qu'il me manque encore quelque chose ou que j'ai gaspillé ce que j'avais que je me donne l'impression de faire du sur place, pour un temps.



vendredi 19 février 2016

Dans une douceur plus grande

La première année, le Livre sur les quais m'a été utile pour refaire mon réseau, le développer et pour observer en détail le fonctionnement du milieu littéraire romand.

La deuxième, le salon des auteurs de Morges m'a permis de mieux comprendre comment mon rapport à l'autorité, à la reconnaissance et au perfectionnisme inquiet m'avait empêché jusqu'à l'autre bout du monde d'écrire les livres que je voulais écrire. 

Maintenant que cette mine de découvertes s'est appauvrie, je suis heureux de constater que le milieu de la création littéraire me réserve encore de nombreux terrains d'étude pour mettre le doigt sur ce qui n'entrave et pour tenter de desserrer les liens. 


Celles et ceux qui m'inquiètent, me blessent ou me contrarient me veulent en définitive le plus grand bien: comme j'ai la tête est dure, ils doivent taper fort, mais je vais bien finir par y voir un peu plus clair et continuer mon apprentissage dans une douceur plus grande, envers eux et envers moi. 

jeudi 18 février 2016

Dans le quart d'heure avant midi

Les cloches des villages se répondent dans le quart d'heure avant midi. 

mercredi 17 février 2016

Vous comprenez, c’est la culture!

Quand je lis Antonio qui présente ses Quais de la poésie comme une réplique poétique du rendez-vous de Morges, mais sans les limousines, je repense au Palace du Livre sur les quais, à tous ces formidables bénévoles sans lesquels ces merveilleuses manifestations n’existeraient tout bonnement pas, au bling-bling des stars de la plume et aux salaires qui sont comme ils sont parce que, vous comprenez, c’est la culture!

mardi 16 février 2016

Michel, mon voisin de chambre

Michel, mon voisin de chambre, attend son opération. Moi, je sors de la mienne et je joue avec la douleur qui monte et qui descend suivant les positions, suivant ma concentration sur le mantra que j’entonne à mi-voix et sur l’enseignement de Ramana Maharshi qui défile sur mon téléphone.

Très vite, la conversation polie prend un tour inattendu quand Michel se met à parler spontanément non seulement de Maharshi – c’est drôle, j’étais justement en train de le lire sur mon téléphone! – mais aussi de Nisargadatta Maharaj dont le recueil des entretiens trône à côté de notre autel et, cerise sur le gâteau, d’Ella Maillart dont il m’apprend qu’elle a suivi l’enseignement de ce dernier.

Michel bouge les bras en cercle dans son lit en parlant de Freud, de Jung, de son père et d’Arnaud Desjardins: sa chemise d’hôpital fait de lui un pasteur. Il a durant sa vie côtoyé l’intégrisme catholique, vécu en Inde, perdu sa femme appelée par le couvent de Gorazde, suivi les séminaires de Durkheim dans la Forêt-Noire, rencontré Ella Maillart et Jean Herbert.

– Mais vous avez cité une bonne partie de la bibliothèque dont j’ai hérité de ma tante!

Quand Gil, le maçon espagnol couché à côté de moi, fait un malaise et se débat au milieu d’une nuée d’infirmière, d’anesthésistes et de médecins, les larmes me montent aux yeux d’un seul coup: le sens de la vie qu’on évoque depuis une bonne heure se sédimente au bord de sa fin possible. Mais c’est une fausse alerte et, juste avant que Michel parte pour la salle d’opération, je dis à mon sage compagnon de chambre qu’il est certainement un illuminé.

– Vous croyez?

– Aucun doute là-dessus. Namoamidabutsu comme on dit par chez nous!

lundi 15 février 2016

Une place pour l'autre en soi

– Avoir des bras, un cœur, un sexe, c’est avoir une place pour l’autre en soi, ce n’est pas être entier tout seul, c’est découvrir que le sens du monde « on le trouve à deux » : c’est dans la communion qu’il se donne et se révèle.

dimanche 14 février 2016

Un filet lumineux

Une note, de 1999:

"Derrière le muret, il y a la mer; quand on s’approche et qu’on se penche un peu, il y a ce qui tombe de la route (débris de plastique, de verre et de papier), mais aussi ce qui la quitte pour se perdre un peu plus bas (vieil escalier de pierre) sous le piège à déchets des arbustes malingres. Le trafic et le soleil entrent en résonance, masse des rayons travaillée au corps par l’accélération des motos, le bourdonnement des cars et les klaxons décroissants qui sanctionnent les dépassement suicidaires.

D’un seul coup, la rumeur est reléguée au second plan par un pétillement frais (de ceux qui accompagnent l’ouverture des canettes), pétillement bientôt doublé d’un gargouillement léger, tous deux réguliers, puis saccadés, puis intermittents, puis plus rien.

Elle est accroupie sur l’escalier, sa robe noire au-dessus de la taille, un talon sur une marche (petite culotte autour de la cheville) et l’autre deux marches plus bas, son visage vers le sol, concentrée. Un filet lumineux serpente jusqu’aux arbustes, assombrit la poussière tout en la parsemant d’étincelles, hésite parfois au seuil d’un degré puis se lance dans le vide.

Elle, toujours accroupie, les cuisses parallèles, face au mur, tout son poids sur la jambe du bas: le ruisseau se perd sous les arbustes. Elle bascule d’abord la tête en arrière puis se lève. Le hurlement des moteurs couvre le reste de la scène."

 

samedi 13 février 2016

Six pièces en quête d'auteurs

En regardant la première des six pièces, ça m’a rappelé le temps où j’en voyais trois ou quatre par semaine, il y a déjà pas mal d’années, pour en faire la critique dans l’Hebdo. Du coup, vu qu’à part le Courrier, la presse n’a pas montré beaucoup d’intérêt pour ce projet, je me suis dit qu’on n’était jamais mieux servi que par soi-même.

Des cent-quinze courtes pièces reçues par la poste pour le concours lancé par le 2.21 et Tulalu!?, six ont été sélectionnées puis montées dans les recoins les plus improbables du théâtre. Les spectateurs ont pu les voir sous forme de circuits: trois le matin, soupe à la courge, pain, fromage, et trois l’après-midi.

Ce qui me reste de cette journée, c’est surtout la fraîcheur et l’inventivité. Dans l’utilisation de l’espace, d’abord, lorsque les spectateurs se sont retrouvés sujets d’un tableau vivant contemplé par un couple aux théories esthétiques absconses, mais également lors d’une déambulation mémorable à travers les coulisses au cours d’une visite guidée sur la trace des vestiges de mystérieux "comédians" qui vivaient là il y a bien longtemps, dans une autre ère aux alentours des années 2000.

Fraîcheur aussi dans la variété des six univers  – 15 mètres carrés, 15 minutes, 15 spectateurs, 2 ou 3 personnages – juxtaposés au sein de cette machinerie parfaitement huilée où les groupes se suivaient de lieu en lieu, d’une salve d’applaudissements à l’autre. Si l’un des parcours était sombre – Daech à Palymre en kalachnikov et torche, adolescente écartelée par l’enfant qui se rassemble en elle et dernier jour d’un grand-père russe au seul amour flamboyant –, l’autre était carrément loufoque: outre la pseudo-archéologie des "comédians", des menaces satanistes s’amoncelaient sur un pauvre lapin à moitié dévoré par le chien des voisins alors qu’un gardien de musée échevelé menait des expériences improbables autour de la phénoménologie de la perception. Ça vivait au 2.21, ça faisait du bien!

Merci à Michel Sauser et à son équipe pour ce moment qui réconcilie avec le théâtre et qui nous rappelle que si les plumes d’ici sont en forme – qui en doute encore? –, elles le sont aussi pour faire vibrer les scènes!

vendredi 12 février 2016

Les associations qui font sens

La dernière phrase du texte que poste Lucas sur Facebook me touche:

– Et quoi que je fasse j’y reviens : mes pas prédominent sur le seuil de cette ville fantôme, aux ports troués, aux vapeurs, en ce lieu articulaire où l’autre se déploie.

Il y a son Uruguay, mon Argentine, nos pères en arrière-fond, nos recherches intenses et parfois tristes.

Un peu plus tard, je revois le début d’Interstellar avec Celia et je suis épaté par l’intuition qu’a eue Nolan d’utiliser l’esthétique des documentaires sur l’Holocauste pour faire parler ses fermiers du monde qu’ils ont perdu quand ils ont dû quitter la Terre.

En me brossant les dents, je sens que Nolan et Lucas me disent la même chose, chacun à leur manière, à travers un choix esthétique et grâce à des métaphores. Ce sont les associations portées par l'intuition qui font sens: le récit voulu et construit est une conséquence, un pont vers le lecteur, pas un point de départ.

Ce qui me rassure est aussi ce qui m’étouffe.

jeudi 11 février 2016

Ramener l'élue de son cœur

Gustavo est en train de terminer de raconter une histoire de sagesse: il est demandé à un homme qui avait tout et qui savait tout de ramener l'élue de son cœur. 

Bien sûr, on voit tous où il veut en venir et on se lance tous des regards complices à travers le dojo. On a vraiment de la chance d'avoir pu s'organiser pour venir deux mois par année à Buenos Aires avec les enfants, tout est pour le mieux. 


Ce sur quoi, bien sûr, je me réveille. 

mercredi 10 février 2016

Le long de mon corps trop lent

Une note, de 1997:


"Je n'ai placé aucune paume devant mon visage, je ne mordille ni mes doigts, ni le côté de ma main. Mes bras sont restés figés le long de mon corps trop lent."

mardi 9 février 2016

Du bordeaux avec le poisson

- Le bordeaux, c'est quand même le meilleur vin pour le poisson.

- C'est vrai?

- Ben oui: bord d'eau!

lundi 8 février 2016

Les feux du soir

Une note, de 1997:


"Dernières lueurs sur le lac de novembre: cette odeur de fumée. Les feux du soir. Celui qu'on peut voir et celui qu'on inspire. Parfois, quelqu'un me dépasse en courant."

dimanche 7 février 2016

Comme une piste d'atterrissage

Il y a toutes les lumières des villages, tous les points verts le long des rails qui font comme une piste d'atterrissage.

Il y a les phares rouges des voitures qui descendent et les phares blancs des voitures qui montent.


Au-dessus de moi, les dents du Midi.

samedi 6 février 2016

La liberté progressive

Dans la mise en mouvement comme dans la méditation, l'apparition de la liberté est progressive. 

vendredi 5 février 2016

Depuis le collège des traducteurs

Il y a le ciel immense depuis le collège des traducteurs, avec les tranches de soleil, de gris, de vert, les Alpes qui apparaissent, blanches, et disparaissent. 

jeudi 4 février 2016

Savoir lire le sens

Pourquoi vouloir donner un sens à ma vie alors qu'il suffit de savoir le lire?

mercredi 3 février 2016

Chemin de Villard 1 et 3

Une note, de 2005:

"Vu l’importance de la pente, les architectes ont privilégié la stabilité par rapport à l’altitude en brisant la déclivité, une bonne dizaine de mètres au-dessus de l’immeuble, avec la radicalité d’un mur de soutènement constitué de blocs massifs, rectangulaires, légèrement protubérants, d’une roche compacte, plutôt sombre.

Une fois la question de l’éclairage naturel ainsi résolue (la vue du mur, réservée aux cuisines, voire aux chambres à coucher, est largement compensée par celle, symétrique, ouverte sur le lac), il a fallu résoudre celle de l’abord du bâtiment.

Les deux solutions trouvées n’offrent aucune comparaison : comment, en effet, ce petit chemin ridicule et pentu qui rampe au pied de la falaise quadrillée pourrait-il rivaliser avec une prouesse architecturale de l’ampleur de celle qu’incarne cette passerelle bifide, aérienne et dépouillée, dont les branches aboutissent simultanément à chacune des entrées (numéro 1 et 3, respectivement) situées au troisième étage ? Comment ?"

mardi 2 février 2016

De l'air mis en forme

Une note, de 1999:

"- Je n'ai pas envie d'entendre parler de toi.

Je raccroche. Je rappelle.

- En fait si.

Tout est dans le en fait si. En fait. Si. Pas oui. Si. Par delà ma haine je prends acte de ton appel et je réponds. Pas possible d'aligner deux mots. Pas possible. Bout de plastique dans ma main. Bout de plastique téléphonique. Bout de plastique qui parle. Et qui écoute. Bout de plastique entre les distances. Contre mon oreille. Ma joue. Vibrer de nouveau. Pouvoir vibrer. Être disponible jusqu'au bout à cette vibration.

Elle a eu de la peine à me dire ce qu'elle avait sur le coeur (plus de peine que moi en tout cas). Cette respiration (la mienne) qui ne sait plus s'arrêter. Besoin de prendre l'air du dehors. Tout l'air.

- Respire!

Tout l'air du dehors. Et rentrer. Et m'asseoir en face d'elle. De nouveau. Et m'asseoir de nouveau en face d'elle.

La respiration qui ne s'arrête pas. Qui ne sait pas s'arrêter. Qui ne veut pas s'arrêter. Ne plus me faire entendre qu'à travers ma respiration. Les mots sont pauvres à côté de la respiration. La respiration est là à la place des mots.

Les mots de la respiration ne sont formés ni par la langue ni par les dents. De l'air qui sort du corps. Rien de plus. De l'air qui sort du corps et qui n'a pas été mis en forme par lui. Donc pas mis en forme par la pensée. Qui n'a donc pas besoin d'être reçu par la pensée.

La respiration: de l'air pas mis en forme. Les mots: de l'air mis en forme. Les mots sont de l'air mis en forme. De la respiration mise en forme. La respiration vient avant les mots. C'est elle qui les pousse hors du corps. C'est elle qui les véhicule.

Cette respiration qui ne veut plus s'arrêter, c'est un véhicule brut. Placé avant le sens. C'est tout le sens qui sort avec cet air.

L'air, la respiration: le sens avant le sens. Après. Tout autour.

Rien d'autre à dire que cette respiration qui ne sait pas s'arrêter. Tous les mots de plus ont été des mots de trop. Des mots utilisés pour le plaisir. Pour la frime. Des mots utilisés pour montrer que je sais les utiliser.

Savoir utiliser les mots assez bien pour ne plus avoir à les utiliser. Ou en tout cas pour les utiliser moins. Juste ce qu'il faut. Ne plus les laisser sortir aussi facilement de moi. Avoir le rythme de la suite des mots à l'intérieur. Garder le même rythme de la suite des mots mais à l'intérieur. La connexion et la création. Garder ces petits mondes en avant."

Il n'existe qu'un seul Soi

- Il n'existe qu'un seul Soi et rien d'autre que le Soi. Le connaître, c'est connaître tout le reste.