dimanche 30 juin 2013

Tous les jours font partie de ma vie

Cette nuit, en me levant pour aller pisser, je me suis rappelé que tous les jours faisaient partie de ma vie, y compris ceux où il faut se lever tôt pour aller bosser.

samedi 29 juin 2013

L'avis n'aura plus de sens

Une note, de 2010: 

"Je me pose beaucoup de questions sur mes raisons d’écrire, sur l’utilité d’une écriture, d’une prise de position à travers l’écriture. Comme je suis en train d’apprendre à donner de moins en moins mon avis, à quoi bon écrire des histoires qui sont aussi une manière de donner son avis?

Je viens d’avoir l’intuition – c’est ce qui m’a décidé à me mettre à mon clavier – que c’est quand j’aurai vraiment la certitude que mon avis n’a aucune importance que je pourrai écrire depuis un lieu qui parle vraiment. Ce sera le moment où la question de l’avis n’aura plus de sens pour moi."

vendredi 28 juin 2013

Je ne peux partager que ce que je découvre

Une note, de 2010:

"Une des choses qui me retient d’avancer dans mes projets de roman, c’est cette impression que tout est d’une certaine manière déjà écrit et que je dois simplement trouver la meilleure forme. Penser plutôt à une découverte commune, à quelque chose qui se découvrirait ensemble, qui prendrait forme au cours de l’écriture. Je ne peux partager que ce que je découvre, pas ce que je sais."

jeudi 27 juin 2013

Attendre le bus à Morges

Attendre le bus, ça semble beaucoup plus long à Morges qu’à Buenos Aires. Ça fait plusieurs jours que je me demande pourquoi, mais pas encore de vraie réponse.

mercredi 26 juin 2013

Les problèmes sont des propositions

Prendre l'habitude de voir les problèmes comme des propositions, toujours. Ça simplifie la vie. 

mardi 25 juin 2013

Pour saluer le lever du soleil

Pour saluer le lever du soleil dans la tiédeur de ce matin d’été, je chante le Shoshinge, avec Lucie dans le creux de mon bras et mon iPod dans l’autre main – non, je ne le sais pas encore par cœur –, au bord du lac du Parque Centenario en regardant le sommet des tours se peindre en jaune jusqu’à ce que les premiers rayons nous arrivent dans les yeux et puis sur les vaguelettes poussées par la brise. De temps en temps, un petit chat gris vient passer sa queue contre mes mollets

lundi 24 juin 2013

La mort nous réunit

– La mort est on ne peut plus normale, elle est ce qui nous arrive à tous, elle est ce qui nous réunit. C’est la vie qui est extraordinaire, la vie qui nous différencie et nous permet de devenir uniques.

dimanche 23 juin 2013

L'écrivain comme handicapé de la vie

Une note, de 2006:

"Dernier progrès en date: la dissolution en moi de la figure de l’écrivain comme handicapé de la vie, qui écrit parce que, non seulement, il ne sait pas faire autre chose, mais que, aussi, il ne pourrait pas survivre sans."

samedi 22 juin 2013

Lorsque la mémoire ne sait plus

Une note, de 1999: 

"La mémoire en apprend autant lorsqu’elle est précise que lorsqu’elle est floue, lorsqu’elle sait que lorsqu’elle ne sait plus."

vendredi 21 juin 2013

Elle vide son chargeur dans la limousine

Elle vide son chargeur dans la limousine – des éclairs, des coups de feu mous qu’on entend à peine. La guitare électrique monte, creuse, insiste: des percussions fines, tout d’un coup.

La femme est déjà près du fourgon. Elle jette son chargeur à l’intérieur, enfourche une moto parquée juste derrière. Grands phares, fumée de la moto qui monte vers le palace, fumée des fourgons qui descendent – des crissements, mais doux, qui ne couvrent pas le bruit des cymbales effleurées, du sable agité du bout des doigts.

La porte arrière de la limousine s’ouvre lentement: tu tombes sur le sol, tu retires tes hauts talons, te relèves, tu titubes, tes chaussures à la main, et tu cours du mieux que tu peux, sur la route, quelques mètres, et puis te jettes à travers les mélèzes.

jeudi 20 juin 2013

Quelques clichés de la salle

La starlette esquisse un bâillement et s’enfonce dans son canapé, se met à regarder la nuit par la fenêtre.

Le journaliste range son carnet et lui tend la main avec un sourire, sans réponse. Deux ou trois courbettes et puis il rejoint le grand photographe aux cheveux décolorés qui prend quelques clichés de la salle avec un petit appareil numérique.

Ils échangent quelques mots et le journaliste se rassied, sort son portable et commence à taper son article. Une serveuse se penche un moment sur lui après avoir posé un nouveau verre à côté du clavier: un œil averti pourrait deviner la bosse du petit calibre dans son dos, sous son chemisier de soie.

Le photographe téléphone en rangeant son matériel. Quand il a terminé, il s’écroule dans la bergère où tu étais assise quelques minutes plus tôt pour s’en griller une. Il doit se pencher sous votre guéridon pour ramasser son briquet. Il met du temps à le trouver, beaucoup de temps.

mercredi 19 juin 2013

Le chauffeur n’a plus de tête

Une limousine passe le portail illuminé du palace, s’engage sur la route escarpée entre les mélèzes en direction de la plaine. Percussions très fines, suspendues dans la nuit, rythme effleuré. Deux fourgons noirs sont arrêtés en travers d’un virage en épingle à cheveux, tous leurs feux orange clignotent: la limousine va s’encastrer dans la falaise.

La porte latérale du fourgon s’ouvre: une mitrailleuse crache à bout portant dans le pare-brise blindé qui s’effondre. Le chauffeur n’a plus de tête. Une femme descend du fourgon d’un pas souple, sportif, son long manteau noir tourne autour de son gilet pare-balles. Elle se dandine au rythme de la batterie – dépouillé, binaire, au fond du temps – qui s’est installée après une descente précise, nerveuse, calée sur l’effondrement du pare-brise. Son gros calibre se balance au bout de son bras, ses cheveux sont tirés en arrière.

mardi 18 juin 2013

Ta tasse penche, un peu

Ton thé entre les mains, tu gardes la bouche ouverte. Ta tasse penche, un peu, de plus en plus: tu la redresses juste à temps, une serveuse te fixait à la dérobée.

Tes yeux brillent, peut-être que tu vas pleurer, tes épaules se soulèvent de plus en plus vite.

Un rythme discret, dispersé, soutient la flûte : la pulsation change, s’affirme, se disperse de nouveau. Les cuivres sont doux, de petites piqûres de guitare électrique.

Vous vous levez tous les trois – le serveur le plus proche n’a pu atteindre que ta bergère, les autres dans les parages se lancent un coup d’œil –, et vous traversez le salon, l’inspiré un bras sur ton épaule, son cigare qui continue de s’agiter au bout de l’autre, très haut, encore plus haut.

La vieille molle vous emboîte le pas, la fille de la fenêtre aussi: il n’y a déjà plus de cendres sur le tapis quand elles ont passé le seuil. L’armoire à glace n’est plus au bar.

lundi 17 juin 2013

Une mitrailleuse à bout de bras

Ils sont sept ou huit, ils s’activent: des cordes crescendo, amples, par vagues, une guitare électrique qui gémit. Un homme, cheveux courts, torse nu, très musclé, au milieu du hangar, une mitrailleuse à bout de bras. Il tire sur sa culasse, plusieurs fois, fait rouler le canon, entre ses paumes, dans un sac de toile.

La batterie rampe sur la pulsation, courte, sèche, sourde, sous les cordes: une voix nasillarde psalmodie plusieurs fois quelque chose d’incompréhensible, de décidé, une devise.

Ceintures bouclées, lacets serrés, fermetures éclair qui glissent, poings fermés dans les gants, ouverts. Une femme, cheveux noirs, en arrière: ses seins dans le cuir et puis le gilet pare-balle.

Deux fourgons noirs, trapus, vitres teintées: le mercenaire aux pectoraux, long manteau de cuir noir, très lisse – ou alors du latex –, tire une taffe, jette sa clope, tape deux coups sur la portière: les fourgons partent ensemble.

Quelques particules dans l’air entre pluie et neige.

dimanche 16 juin 2013

Il pose ses mains sur tes épaules

Un homme très large d’épaules est assis au bar, il regarde droit devant lui, dans le miroir qui embrasse toute la salle.

Une vieille femme au visage épais se laisse tomber dans un canapé près de vous. Une autre, sportive, les cheveux tirés en arrière, va s’asseoir dans un fauteuil à côté de la fenêtre.

Les courbes de la mélodie vont chercher plus haut, se brisent plus souvent, l’attaque des notes est plus franche, décidée. Tu bois ton thé. Le type continue d’agiter les bras, mais en regardant le ciel. Et puis toi. Et puis le ciel. Le plafond.

Quand il pose ses mains sur tes épaules, c’est plus longtemps: il te les masse, fort, très fort, mais tu n’as pas l’air de sentir quoi que ce soit, tes yeux toujours dans les siens.

Le type desserre un peu le foulard qui sort de sa chemise.

samedi 15 juin 2013

Des visages attentifs

À travers une paroi de verre dépoli, on peut voir plus loin les lumières de HLM – un ventilateur noir est pris dans un des carreaux. Des néons vibrent, pas tout à fait au même rythme, toujours sur le point de s’éteindre ou de s’allumer, se renvoient leurs grésillements au-dessus des rouleaux de câbles suspendus, des rideaux noirs, des projecteurs alignés sur des rails et des écrans répartis autour d’une table en U.

La lumière accidentelle s’arrête aux premiers panneaux de bois appuyés les uns contre les autres, comme les éléments d’un décor. Des visages attentifs sont penchés sur les portables, tout près, au-dessus des doigts, de leurs rafales minimalistes. Chacun porte un casque fin, sur une seule oreille, avec un micro tendu devant des lèvres qui ne bougent presque pas.

Certains des écrans affichent une carte qui ressemble à celles qu’on peut deviner sur un des panneaux, quelques points clignotent, se déplacent. D’autres, les pièces et les couloirs du palace vus du plafond, les image se modifient par saccades. D’autres, des groupes de verticales parallèles toujours en train de changer de longueur, parfois en même temps, qui disparaissent et qui reviennent au-dessus d’une avalanche de nombres.

vendredi 14 juin 2013

Un interview

Le thé est servi sur un plateau d’argent: la serveuse doit pousser un peu le cendrier pour le poser sur votre petite table, ses fesses pleines passent à quelques centimètres du visage de l’illuminé qui reprend son cigare éteint, l’allume, tire dessus, fort, deux ou trois fois, les yeux en l’air, et puis les yeux sur toi.

Un long solo de flûte alto prend son temps pour monter, très grave très longtemps.

Dans une alcôve à quelques mètres de vous, un photographe aux cheveux décolorés tourne autour d’une starlette assise dans une méridienne, les seins rassemblés sous la gorge, les cuisses croisées juste assez haut pour laisser deviner la dentelle au sommet de ses bas noirs.

Un journaliste écoute la future célébrité avec attention tout en prenant des notes à l’aveugle. Le photographe se recule de quelques pas pour quelques photos d’ambiance. 

jeudi 13 juin 2013

Tu ne le quittes pas des yeux

Tu discutes avec un type au visage rond, aux lunettes rondes, une barbe poivre et sel de quelques jours: il ouvre ses grands yeux très bleus et fait des gestes en cercle autour de son visage, en cercle entre vous. Il reste enfoncé dans sa bergère au milieu du salon, sauf quand il se penche en avant pour te poser la main sur l’épaule, de plus en plus souvent. Et puis ce sont les deux mains.

Tu ne le quittes pas des yeux, sauf quand il a posé ses mains ensemble sur toi pour la première fois: là, tu as regardé sa main droite avec une expression difficile à définir.

mercredi 12 juin 2013

Dans les toilettes

Une des serveuses entre dans les toilettes, ferme la porte, sort une petite clé de sa poche et ouvre le distributeur d’essuie-mains. Elle prend une cassette noire posée sur la réserve de tissu bleu, l’appuie sur le bord du lavabo, l’ouvre.

Des cymbales se balancent d’un côté et de l’autre, des bruits profonds qui reviennent régulièrement: de grosses serrures qu’on fait jouer, peut-être un orage assez loin.

Un petit calibre dans son emplacement de velours, un silencieux.

Elle les assemble, glisse l’arme dans son pantalon, le silencieux entre ses fesses. Elle range la cassette dans le distributeur, le referme à clé.

mardi 11 juin 2013

Le salon

Les grands rideaux du salon, dans les jaunes, plutôt foncés, du vieux bois au plafond, régulier, chaud, comme dans un chalet mais en beaucoup plus grand. Une odeur de cigares, de pipes, un grand feu dans la cheminée monumentale surplombée d’un abrégé d’héraldique illustré. Le palace, le château s’entend, a déjà quelques siècles.

Une baie s’ouvre sur des tables en métal couvertes de neige, sur les pentes, sur les mélèzes de plus en plus petits, les pâturages, mais le brouillard descend, et puis la nuit.

Les serveurs sont rapides, précis, alignent les fauteuils bas dès que leurs occupants ont passé le seuil, les ajustent pour ceux qui prennent place, débarrassent les guéridons, les écartent ou les rapprochent.

On les reconnaît par leurs gestes, pas de plaquettes, pas de noms, des chemises pastel, plus transparentes pour les femmes, qui pourraient être portées sous les manteaux de cuir ou de fourrure – mais aussi du plus détendu, du plus moche: c’est un peu les vacances – qui s’entassent au vestiaire.

Un big band s’installe dans les conversations éthérées.

lundi 10 juin 2013

Le palace décoré

Toute la clairière scintille autour d’un mur de lumière: le palace étincelle, sa façade en entier se répand dans la neige, des ornements se distinguent peu à peu. Spirales éclatantes autour des colonnes, torsades, chapelets, petits cordages tendus vers un nœud gigantesque au-dessus de la porte à tambour, pluie d’ampoules minuscules.

Lumière blanche sous la rotonde au bout des flambeaux de l’allée, rouge et jaune depuis l’appui des fenêtres, de moins en moins violente au fil des étages: les faisceaux s’estompent, creusent les perspectives, disparaissent. Les tourelles et les cheminées découpent les constellations.

Couchées dans la neige les décorations se simplifient, se noient les unes dans les autres et meurent au pied des premiers arbres.

dimanche 9 juin 2013

Depuis la passerelle

Le grillage de la passerelle est recouvert d’un tapis épais, sombre, éclairé au ras du sol. Tous les oranges de la vallée se dispersent dans les épaules de forêt en contrebas, derrière le verre des rambardes.

Une ligne de réverbères gris se dégage, orange aussi le temps d’un Y, gris de nouveau. Des phares éparpillés poursuivent les courbes des deux branches, en rouge, en blanc, les insinuent: longues et souples au fond, empilées en face mais le trouble est semé par un petit train qui grimpe à travers des tunnels en spirale et apparaît toujours où on l’attend le moins.

samedi 8 juin 2013

L'ascenseur

Des lampes à hauteur de hanches perpétuent la même lumière indirecte, posent un couloir phosphorescent sur les branches basses et sur les troncs jusqu’aux portes en train de s’ouvrir.

Les câbles se rassemblent très loin, tout en haut de la tour en métal, s’élancent vers cette roue éclairée depuis les dernières poutrelles qui veille sur la forêt, vers, encore plus haut, ce point rouge qui la couronne, vers toutes les étoiles qui vont et viennent en arrière des nuages.

La cabine est d’un bloc, polie, deux hublots sur les côtés, une caméra au plafond.

Un temps, les portes se referment, un temps, souffle très léger, température agréable, des lumières orange qui s’étendent à travers les mélèzes, de plus en plus bas, de plus en plus loin.

vendredi 7 juin 2013

Pour atteindre le palace

Pour atteindre le palace depuis le village, il y a la route étroite, au fond du dernier étranglement le portail illuminé.

Un sentier, aussi, ses épingles à cheveux, son sel et sa glace, son gravier, les stations de ses petits bancs. Quelques marches au début, quelques marches à la fin.

Il ne serait pas très prudent, non, du tout, même si le raccourci a l’air discret, de couper à travers les mélèzes. Beaucoup d’aiguilles sur le sol, beaucoup de falaises dans la pente, et, bien entendu, la neige sur tout ça.

Reste l’ascenseur.

jeudi 6 juin 2013

Trois feux de signalisation suspendus

Pour se repérer dans l’espace, il faudrait faire référence à d’autres lieux, à d’autres temps, à quelque chose de parfaitement éloigné mais de présent dans le souvenir, c’est-à-dire de rassemblé par le souvenir, que le souvenir rend présent à ce lieu. Ces références ouvrent l’espace, créent d’autres distances qui, à leur tour, révèlent celles qui sont déjà là, celles qu’on ne peut pas voir à cause de la nuit qui les arrange d’une autre façon.

Une image, surgie d’un film, pour mieux expliquer ce qui se voit, ce qui se passe : trois feux de signalisation suspendus à un carrefour devant une grande montagne au dos imposant. Les feux sont au rouge, ils passent à l’orange, puis au vert: c’est comme si toute la montagne d’un seul coup se rapprochait, était rendue présente, comme la police d’un texte peut parfois le faire quand on sait la lire de la bonne manière, en lisant un peu moins le texte et un peu plus les lettres qui le portent.

mercredi 5 juin 2013

Les distances, la nuit

Difficile d’évaluer les distances, la nuit. Souvent, ce qui semble proche ne l’est pas, ce qui semble lointain ne l’est pas, l’espace entier s’organise d’une autre manière, comme si ses parties étaient rassemblées en suivant d’autres lois, condensées ou dispersées, sans qu’on parvienne à savoir tout à fait comment.

Un bloc de forêts, de montagnes et de neige, qu’on doit pouvoir traverser, encore qu’on ne sache pas vraiment si on se déplace ou si c’est le paysage qui se reforme autour de nous en permutant ses éléments. Même le crissement de la neige gelée n’est pas d’un grand secours: ce son qui se répète sous nos pas pourrait être n’importe quel son, nos pas n’importe quels pas.

mardi 4 juin 2013

Au bout de chaque visage

Une note, de 1999:

"Prendre le temps d’aller au bout de chaque visage."

lundi 3 juin 2013

Fatalité de l'approche

Une note, de 1999:

"On a beau l’avoir lorgnée du coin de l’œil pendant plusieurs minutes, le même phénomène se reproduit à tous les coups, fatalité de l’approche. Le simple fait de l’aborder, de pouvoir la dévisager sans avoir à chercher un prétexte à son propre regard, dégrade d’un seul coup sa beauté fantasmée. Reste à savoir si le timbre de sa voix pourra raviver l’étrangeté excitante née de l’observation oblique."

dimanche 2 juin 2013

Paysage avec falaise

Une note, de 2004: 

"J’essaie de trouver les mots pour décrire ce paysage qui est à la fois celui que je connais et un autre. C’est dans la qualité de lumière que je le reconnais d’abord, cette lumière blanche et métallique pour laquelle je n’ai encore jamais pu trouver les mots. Il y a cette profondeur de tous les gris, comme des grands mouvements tracés dans la matière du ciel et des montagnes, des ébauches de spirales travaillées dans l’air pas encore sec, dans l’air, peut-être, de l’orage qui arrive.

Le soleil, ce qui en reste, ce qui arrive encore sur terre en avant de ce paysage de ciel, éclate, imprévisible, sur un toit de la ville d’en dessous : il me faut un moment pour découvrir que ces assauts de soleil dépendent de la position de ma propre tête, à quelques centimètres près. Du coup, les bâtiments disparaissent, s’enfoncent derrière un rocher qui n’était certainement pas là plus tôt et les embruns giclent jusque sur mon écran, sur mon clavier posé sur mes genoux, écrivain d’extérieur.

L’eau vient s’écraser contre une falaise qui commence devant moi, qui ne devrait pas être là mais le plus urgent est de protéger mon portable de ces gouttes qui en viennent pas d’en bas comme je le croyais, mais d’en haut, de grosses gouttes de pluie qui tombent de l’orage qui est maintenant sur moi. Du coup, la falaise se déplace après la ville."

Petit précis de géométrie faciale

Une note, de 2004:

"Traiter son visage de géométrique insisterait peut-être plus que nécessaire sur la froideur qui se dégage de son maintien tout en négligeant par trop la vibration tendue dans chacune de ses arrêtes, sa versatilité charnelle incessante (parler de mobilité des traits serait exagéré au vu du peu d’amplitude affichée par chacun de ces tressaillements).

Les premiers traits de l’esquisse (traits qu’il ne sera pas nécessaire de masquer sous le portrait définitif, tellement ils s’imposent au regard) sont les deux diagonales pentues du menton surmontés du T formé par le nez inscrit dans la barre des arcades sourcilières proéminentes. Peuvent s’inscrire dans les deux angles droits ainsi délimités des yeux d’un bleu qu’on pourra qualifier à l’envi de liquide, profond, divers, pailleté, voire d’ultramarin, dont les globes sont mus par des oscillations infimes et continues, répliques sphériques des modulations planaires des joues et du front.

Une main vient confirmer l’agitation latente inscrite dans ce corps en grattant compulsivement l’un de ses genoux libéré pour ce faire d’un pan de jupe lie de vin: le temps d’un regard au visage qui n’a pas changé d’expression, les serres épileptiques ont repris leur somme indolent sur le haut de leur cuisse."