dimanche 30 décembre 2012

Jérusalem

Il y a cette femme, sous le néon de cet abri de bus, qui me demande de l’argent pour téléphoner. Elle porte un masque de tissu noir, on ne voit que ses yeux bruns, très mobiles. Ses mains d’Africaine, d’Amérique dit son accent, portent beaucoup de bagues en toc, beaucoup de bracelets de beaucoup de métaux.

Elle me parle de tous ces gens qui veulent la tuer parce qu’elle est la femme du roi du Maroc. Ils ont tout essayé : le gaz (alors qu’elle nettoyait, pourtant, son four avec du feu), les freins de sa voiture, les balles (avec silencieux), le poison, l’essence (encore hier, à la station-service d’en face). Vraiment tout.

En janvier, ils lui ont donné des pilules pour bloquer ses règles. Elle qui est vierge, elle a dû décommander son rendez-vous avec son mari suédois et juif (ses cheveux sont plus blonds et surtout plus beaux que les miens) en téléphonant à ses gardes du corps. Il logeait au palace, juste derrière nous.

C’est une autre femme qui est avec son mari (qui a deux visages : celui qu’on connaît, que tout le monde connaît, et un autre, horrible) son mari qui veut la tuer pour être avec cette autre femme. Il lui a même tiré une balle dans la tête à bout portant (avec un silencieux), mais elle n’est pas morte: elle la maudit en lui infligeant des mycoses plantaires. Il les a toujours, ne peut rien faire contre.

Elle s’appelle Jérusalem, on ne peut pas la toucher parce qu’elle est femme de roi. Elle sort un livre très fin aux pages presque toutes cornées et presque toutes recouvertes de marqueur jaune passé, orange, presque brun. Elle pointe le nom d’une divinité juive et affirme qu’il s’agit d’elle, que c’est un autre de ses noms.

samedi 29 décembre 2012

Me tenir droit quand je marche

Une note, de 2009:

"L’écriture qui deviendrait une expérience comparable à me tenir droit quand je marche."

vendredi 28 décembre 2012

L'absence au monde est une paresse

Une note, de 1999:

"L’absence au monde est une paresse, la paresse de se répéter à chaque instant: je vis ici et maintenant. C’est la fatigue (ou mieux: la lassitude) qui rend absent au monde. L’impression de se laisser ballotter, que tout est égal et que tout se vaut."

jeudi 27 décembre 2012

Faire ce qu'on veut faire

– Vous dites qu’il faut faire ce qu’on veut faire pour se rendre compte par soi-même que c’est pas ça qui va nous rendre heureux, mais si on a l’intuition que ça ne va pas nous rendre heureux: est-ce qu’il faut vraiment dépenser toute cette énergie et tout ce temps pour aller jusqu’au bout de l’expérience?

– Si vous continuez quand même sur ce chemin, c’est soit qu’il vous reste encore quelques doutes, soit que vous n’êtes pas franchement intelligent.

mercredi 26 décembre 2012

Le carrosse de mon propre enfer

– Dans le bouddhisme, il y a un enfer pour que les méchants aient la possibilité de se sauver: ils peuvent prendre conscience du mal qu’ils ont fait, du karma qu’ils ont produit. Nous produisons nous-mêmes notre propre enfer: il n’y a personne qui construit le carrosse de feu qui me conduit en enfer ni personne qui me force à monter dedans.

mardi 25 décembre 2012

Laisser les choses en l'état

Une note, de 2010:

"Hier soir, en revenant de l’expo d’Anahí à Ramos Mejía, j’ai juste loupé le train, alors je suis allé faire le tour de la place devant la gare et je me suis arrêté devant une grande église avec une longue antenne juste derrière, une antenne avec des points rouges éparpillés sur sa longueur. Quelque chose m’a touché dans cette vision, je ne sais pas trop bien quoi et je n’ai pas vraiment cherché à en savoir plus, mais je me suis rendu compte, comme l’autre soir à Villa Adelina, que l’important, c’était la vision que j’avais eue, la perception que j’avais eue, pas que ce soit une église en faux vieux éclairée aux spots jaunes et une antenne à moitié pourrie dans la banlieue de Buenos Aires.

En y repensant en attendant le train, je me suis de nouveau étonné devant la simplicité de cette découverte, je me suis dit que ça ne pouvait pas être si simple que ça, mais que c’était sans doute parce que ça me semblait simple, parce que ça me semblait trop simple, que c’était juste. En réfléchissant un peu plus loin, je me suis dit que je m’ajoutais en général une autre couche problématique, une couche qui m’empêchait de voir cette couche plus simple: celle de la recréation, de la restitution de ce que j’étais en train de sentir. Comment l’écrire? Comment le rendre? Comment le faire passer plus loin? Comment le garder? Alors, du coup, bien sûr, ça devient compliqué, parce que j’essaie de décomposer ce qui est en train de se passer en moi pour mieux le comprendre et pour mieux le recréer. Je déconstruis en petites pièces que j’étiquète soigneusement et après je suis étonné de ne pas être capable de remonter le tout...

Alors que le meilleur moyen de peut-être pouvoir en faire quelque chose – mais est-ce qu’il faut vraiment en faire quelque chose? – c’est encore de le vivre pleinement et de faire confiance au moment pour qu’il resurgisse dans l’écriture, à sa manière, avec la forme qui était la sienne à ce moment-là, forme qui a su me toucher, à laquelle j’ai su être sensible, cette forme qui a su entrer en moi, que j’ai laissé entrer en moi. Je crois que c’est une des choses qui m’empêchait d’arriver au centre de la sensation, cette volonté de tout de suite vouloir me l’approprier, de tout de suite vouloir en faire quelque chose, de tout de suite pouvoir la faire mienne, faire que cette sensation soit mienne, oui, c’est ça, m’assurer de pouvoir lui donner une forme, lui donner ma forme, pour être bien sûr qu’elle soit mienne. Alors que cette sensation, toutes les sensations, ne sont ni miennes ni pas miennes, elles sont.

Toute volonté d’appropriation est une mise à distance, toujours. Ce que je rapproche de moi, je le mets à distance de tout le reste et je nous mets, dans le même geste, à distance de tout le reste. En enlevant cette chose au reste, je m’enlève au reste aussi. Quand je veux me rapprocher d’une chose, d’un être, je me mets à distance du reste. Donc, dans la mesure du possible, laisser les choses en l’état, ne pas chercher à en faire quoi que ce soit sur le moment, ni même à y être plus disponible. Ce qui doit ressortir ressortira, par le même chemin, par la disponibilité à la pensée qui se présente devant l’écran. Ce n’est pas une question de prévision, ce n’est pas une question d’aller pêcher le souvenir, c’est être là quand ça se passe, là quand ça revient. Entre les deux, il n’y a que moi et même ce moi n’est plus le même moi."

Le moment vraiment présent

Une note, de 2010:

"Je me rends de mieux en mieux compte d’à quel point je n’écoute plus vraiment le monde, je ne vois pas vraiment le monde, d’à quel point je l’écoute rarement et je le vois rarement. C’est là que surgit l’intuition pratique que c’est par l’affinement de ma perception du monde que je vais pouvoir combler mes manques, parce ce que tout est là, autour de moi, il ne me reste qu’à y être sensible minute après minute.

Je me rends compte que j’étais aussi arrivé à ce type de conclusion générale après mon Voyage, mais je crois que ce nouveau passage par la même chose me trouve avec de meilleurs outils pour le vivre, pour l’appliquer vraiment, avec, aussi, un meilleur contexte pour le faire. Comme le dit Gustavo, vivre le moment présent et être soi-même, ça se trouve dans n’importe quel livre de développement personnel, mais l’important c’est comment on le fait, comment on le fait vraiment."

dimanche 23 décembre 2012

Mon intelligence n'intéresse personne

Une note, de 2010:

"Oikawa Sensei m’a dit qu’il fallait que je fasse l’exercice de cette écriture libre d’un certain nombre d’heures par jour – lui, c’est trois – pendant vingt jours, même dix, et que je me retrouverais en face d’un autre homme, de cet homme qui est en moi mais que je ne connais encore que très mal, voire pas du tout.

Même si sa manière de formuler les choses était désagréable et intrusive, je me suis dit que son conseil avait du bon et que j’allais essayer de le suivre, au moins en partie: ça serait peut-être une manière de sortir de cette aporie que je sens en ce moment, de développer une autre technique de travail, une autre manière d’aborder le travail.

Quand je lui ai dit que j’aboutissais chaque jour à un paragraphe, il m’a dit que c’était très mal, que c’était simplement le fruit de mon intelligence et que mon intelligence n’intéressait absolument personne. Il a continué en disant qu’il y avait des intelligences plus grandes, des intelligences plus petites, mais que ce qui importait vraiment dans l’écriture, c’était le cœur, c’était ce que je pouvais écrire avec le cœur, parce que le cœur seul est original, pas l’intelligence. Est-ce que le but est d’être original ou de parler aux autres cœurs?"

samedi 22 décembre 2012

De plus en plus là

Une note, de 2010:

"L’écriture comme un instrument de contrôle du temps, comme une manière de permettre à l’esprit de se reposer à travers la concentration. Ce n’est pas seulement l’écriture qui est importante, c’est le fait d’être là en écrivant, c’est d’être là en train d’écrire. D’être de plus en plus là, de plus en plus en train d’écrire."

vendredi 21 décembre 2012

Depuis maintenant

Une note, de 2010:

"Je pense que c’est une règle assez simple à suivre: toujours revenir dans le présent. Parce que c’est dans le présent que se passent les choses, c’est toujours dans le présent qu’elles se passent. Que je me réjouisse, que je craigne ou que j’imagine, je le fais toujours depuis maintenant."

jeudi 20 décembre 2012

Sans dehors ni dedans

Une note, de 2010:

"L’idée n’est pas d’aller vers l’aveu, mais d’en rester à l’exposition. L’aveu serait embarrassant, aussi pour celui qui le reçoit. L’exposition est plus simple, elle n’impose pas, elle impose moins son mode de réception. Pas besoin d’aller chercher en dehors de moi, mais simplement mieux chercher en moi, mieux savoir chercher en moi, chercher si bien que je n’aurais plus besoin de chercher, que je serais tout entier exposé, sans dedans ni dehors, sans devant ni derrière. Oui, je crois que c’est à ça que je tends. Sans dehors ni dedans, sans devant ni derrière. Ce sera le cas quand jusqu’à ces oppositions cesseront de faire sens."

mercredi 19 décembre 2012

A la chasse aux Pringles

Le seul moment où j’ai failli m’énerver, c’est quand la fille du Duty Free m’a dit que, non, vraiment, désolée, elle pouvait pas me vendre ce paquet de Pringles parce que j’étais pas sur un avion qui arrivait, mais, bêtement, sur un avion qui n’était pas parti.

– Mais j’attends nos bagages depuis presque deux heures et j’ai faim!

– Alors tu peux sortir t’acheter quelque chose dans le hall.

– Puisque je te dis que je suis en train d’attendre nos bagages!

Le McBidule que j’avais pris presque douze heures plus tôt – c’est vrai, ça, ça faisait déjà douze heures! – ne me tenait plus vraiment au ventre et la perspective d’attendre je sais pas combien de temps un bus qui allait nous amener dans un hôtel au centre-ville – il avait intérêt à être sacrément luxueux, cet hôtel! –, ça me mettait franchement l’estomac dans les talons.

Après divers aller et retour devant la Duty Free à la recherche d’une stratégie pour me rassasier, je me suis dit que j’allais demander à un autre client d’acheter ce paquet de Pringles tant convoité en lui promettant de le rembourser, non, en lui payant d’avance à peine un peu plus, en pesos, ou même en dollars s’il voulait, en fait non: 3 dollars 25, j’aurai pas la monnaie...

C’est à ce moment-là qu’un esclandre a éclaté à une autre caisse: trois retraitées suisses-allemandes, munies chacune de leur tube de Pringles, faisaient l’amère expérience de l’implacable refus administratif.

– But: we are hungrrry!

Elles ont tellement insisté que la caissière, nettement plus sympa – et nettement plus jolie – que celle qui m’avait servi, a fini, après quelques mots échangés avec son collègue, par céder.

– Pero, es un cuatro por tres. Pagan por tres y se llevan cuatro.

– What?

Après avoir tenté de leur expliquer avec mon allemand récalcitrant qu’elles pouvaient en embarquer quatre pour le prix de trois, des tubes de Pringles, je me suis dépêché, pile au moment où la caissière encaissait leurs pesos en marmonnant que si elles voulaient seulement en prendre trois, elles pouvaient seulement en prendre trois, je me suis dépêché, donc, de glisser mon tube de Pringles à moi dans le sac en plastique blanc des énergiques Suisses-Allemandes. Je leur ai fait un grand sourire, je leur ai dit merci, je leur ai filé une pièce de cinq francs et j’ai embarqué notre souper familial.

Quand je suis sorti de Duty Free, une des filles de la sécurité, justement celle que j’avais imaginé, dans un de mes scénarios, prendre à témoin que j’avais bien payé le tube de Pringles que je projetais d’acheter de force en posant 20 pesos sur le comptoir de ma grosse caissière despotique, cette fille de la sécurité, elle a dû me trouver un peu louche en train de louvoyer avec mon tube de Pringles à proximité des caisses alors elle a appelé la caissière, la deuxième, la jolie et sympa, pour voir de quoi il en retournait.

– Mais non, pas de problème!

Alors, quand le chauffeur du bus, presque deux heures plus tard – c’est-à-dire vers une heure et demie du matin – nous a dit qu’il allait être obligé de nous poser à deux blocs de l’Intercontinental parce que les rues étaient bloquées à cause d’un mégaconcert organisé par notre Cristina de présidente – du pain! des jeux! –, quand je lui ai demandé comment on allait faire avec nos cinq valises et notre poussette, même quand un des vingt flics en train de se tourner les pouces accoudés aux barrières m’a ri au nez quand je lui ai demandé un petit coup de main, eh bien, du coup, ça m’a laissé de marbre.

mardi 18 décembre 2012

Des mots pour vivre

Une note, de 1999:

"Quand je pense à toi (quand je te parle), les mots qui me viennent sont des mots pour vivre, pas des mots pour écrire."

lundi 17 décembre 2012

Une revanche contre moi

Une note, de 2009:

"Un combat avec Chessex, même au xième degré, même avec beaucoup d’humour, reste un combat avec Chessex, donc un combat avec moi. C’est de la logique même de la confrontation qu’il faut que je sorte. Ne continuer ce roman – si je le continue – que dans l’optique de la recherche vraie, pas de la revanche plus ou moins déguisée, revanche qui serait avant tout une revanche contre moi."

dimanche 16 décembre 2012

Peu importe où, peu importe qui

Qui es-tu, au fond, vraiment, petite Lucie? Qui es-tu, au fond, vraiment, chère Celia? C’est ce que je me demandais en vous regardant dormir à côté de moi sur cet interminable lit de l’Intercontinental de Buenos Aires, dans cet espace indéfini qui aurait dû correspondre au milieu de l’Atlantique, mais qui se trouvait à même pas vingt minutes de métro de chez nous.

L’oreiller qui coupait ton visage en diagonale, Celia, te donnait une expression que je ne te connaissais pas: je regardais une autre femme, comme si ce 747 en panne et ces deux nuits de luxe offertes généreusement par Lufthansa me donnaient une attention nouvelle, aiguisée, qui ne pouvait se reposer sur aucun de nos quotidiens, ni celui de Suisse, ni celui d’Argentine.

Souvent, je joue au petit jeu des vies antérieures. Sans aller jusqu’à nous inventer des biographies, je nous imagine à d’autres époques, dans d’autres situations, réunis dans des constellations différentes. Là, au milieu de ces beaux draps blancs, en regardant frémir vos lèvres et vos narines dans le premier soleil de ce quinzième étage de San Telmo, je pouvais voir, simplement, sans effort, toutes ces vies à la fois.

samedi 15 décembre 2012

Comme un enfant qui bouge dans tous les sens

Souvent, Gustavo compare l’égo à un enfant qui bouge dans tous les sens jusqu’à ce qu’on le calme ou qu’on lui dise de se calmer.

Pendant que je berce Lucie en lui chantant tout doucement le Juseige de ma voix la plus grave, je me rends compte à quel point il a raison.

vendredi 14 décembre 2012

Les indéniables vertus de l'Inquisition

L’oncle Charles avait décidé d’inviter le curé du village pour un light supper et on allait profiter du beau jardin de la maison de famille de San Vittore pour deviser au sujet de la spiritualité, de la religion, des mérites relatifs des œufs au plat et du bacon.

Que le père Dominique trouve que les bûchers de l’Inquisition avaient du bon et qu’il faudrait sans doute les remettre à la mode – mais non, c’est pour rire! – ne regarde que lui, mais en repensant à ces énormités qui n’avaient même pas réussi à vraiment m’énerver, je me suis dit que quelque chose clochait dans mon attitude et la réponse que m’avait faite Gustavo m’est revenue à l’esprit.

– Quand on juge l’autre, on se sent au-dessus de lui, quand on apprend de ce qu’il fait et de ce qu’il dit, on se situe au-dessous de lui: on se dit qu’on pourrait très facilement tomber dans le même piège que celui dans lequel il est tombé et qu’on ferait mieux d’être très attentif à ce qu’il est en train de nous montrer.

En aidant le père Dominique – clin d’œil appuyé à Celia – à terminer ses phrases définitives qu’il hésitait, mais pas très longtemps, à rendre tout à fait explicites, j’étais naturellement tout aussi loin de ce "beau discours de l’Amour de Dieu pour tous les hommes" que lui.

jeudi 13 décembre 2012

Dans l'ascenseur du conseiller

En arrivant au buffet organisé chez lui par le conseiller de l’ambassade, je me retrouve devant la porte de l’ascenseur avec trois femmes d’un certain âge, doublement emperlées. L’un des invités précédents ayant mal refermé la porte à l’étage des Suisses, la conversation s’engage: quand l’ascenseur arrive, on est déjà aux intimités.

– Et toi, tu fais quoi?

– Je suis écrivain.

– C’est qui qui te publie?

– Ben, euh, je...

Entre les tours et les détours du 92, après une dernière coupe de champagne sur un des interminables balcons de ce beau quartier de la Recoleta, j’ai eu l’occasion de méditer sur mon inconfort et de peaufiner une réplique élégante et simple que je n’aurai, malheureusement, jamais l’occasion de déclamer à mon emperlée de service.

– Personne.

– Quoi, personne?

– Non, personne ne me publie.

– Alors tu n’es pas écrivain.

– Non? Il faudra vraiment que vous m’expliquiez cet intéressant point de vue!

– Ah, mais, je...

Et le petit film, encore et encore, dans un sens et dans l’autre, jusqu’à ce que je me fatigue de faire la causette avec cette partie de moi-même, mondaine et prétentieuse, dont j’ai décidément toutes les peines du monde à me débarrasser.

mercredi 12 décembre 2012

Comme les îles de la mer

– Il n'y a pas de "je": nous sommes tous "je" ou tous "autres". Comme les îles de la mer, au fond, nous sommes tous réunis.

mardi 11 décembre 2012

La vie prend la forme d'un livre

Une note, de 1999:

"La vie se transforme dans le souvenir, elle prend la forme d’un livre."

Si ce qui m'arrive a un sens

Une note, de 2009:

"Si ce qui m’arrive a un sens, c’est que j’en ai un, moi aussi."

dimanche 9 décembre 2012

La peur de la peur

Une note, de 1999:

"C'est la peur de la peur qui prend de la place, pas la peur elle-même."

J'ai déjà dû vivre tout ça

Une note, de 2010:

"Hier soir, défilé du bicentenaire et aussi des émotions fortes, une manière de montrer cette histoire qui me touchait, une manière engagée, une manière impliquée, énergique. Je me suis senti très en lien avec cette manière de voir la vie, avec cette manière de voir l’Histoire. Je suis peut-être encore plus Argentin que ce que je croyais. Une proximité dont je ne sais pas si elle s’est construite ou si elle m’a été révélée petit à petit – une fois de plus, je pense spontanément à la construction, mais je sens, derrière, encore loin derrière, la révélation, le dévoilement. Je me suis senti proche de ces pionniers, de ces immigrants. J’ai l’impression que j’ai dû vivre tout ça, c’est pas possible autrement. Et puis il y a aussi cette finca que voulaient s’acheter les personnages de Diamantendiebe."

samedi 8 décembre 2012

Comme quelque chose de connu

Une note, de 2010:

"Hier soir, souper avec Valérie et son ami Guillermo chez Danielle. C’était un chouette moment, un peu étrange, mais chouette, surtout quand Valérie a raconté sa semaine de méditation zen, un récit qu’on avait tous les deux l’impression d’avoir déjà entendu, mais d’où? Comme quelque chose de connu, jusque dans les détails, le fou rire communicatif avec les autres pratiquants, le repas dans les quatre bols qu’il fallait ensuite nettoyer avec un morceau de légume et rincer avec de l’eau qu’on finissait par boire, les quelques mots échangés à la porte des chiottes avec un Allemand qui vivait à Majorque, quelque chose de connu jusque dans la manière de le raconter, dans le ton, les regards, le rythme. Et puis, au fur et à mesure, on se rencontrait des connaissances en commun, en Suisse et en Argentine."

vendredi 7 décembre 2012

Une roue toute neuve

En sortant de chez nous, je tombe sur le voisin du 6A en train de changer une roue au bord d’Acoyte.

– Un petit coup de main?

– Non, merci, ça va comme ça. C’est vraiment la poisse: une roue toute neuve...

Quelques jours après, je le croise dans l’ascenseur.

– Alors, cette roue, ça s’est bien terminé?

– Écoute, je me suis fait voler mon fric juste après que tu sois passé. Un gars en moto s’est arrêté, il a ouvert la porte et il a embarqué ma mallette, moi qui venais de passer à la banque...

– C’est pas de bol!

– C’était tout organisé: il devait avoir un indic au guichet, parce que ma roue, c’est net, on l’a tailladée. Je me disais bien que c’était bizarre: une roue d’à peine 64 kilomètres... Et puis, tu vois, t’es en train de dévisser tes boulons, t’as les mains pleines de cambouis, tu vas chercher un chiffon dans le coffre... Alors, forcément, tu laisses la porte ouverte...

jeudi 6 décembre 2012

Ralentir la pensée

Une note, de 2009:

"Les carnets sont pour moi une manière de ralentir la pensée, dans le sens de la méditation."

mercredi 5 décembre 2012

A vol de mouche

Une note, de 2010:

"Pendant la promenade, tout à l’heure, le paysage a pris à plusieurs reprises plus d’étendue, comme si mon champ visuel s’élargissait, comme si venait s’ajouter une sorte de champ visuel mental, comme si l’ensemble de la vallée perdait sa profondeur et que je me retrouvais au milieu d’elle, encore plus au milieu parce que les distances se perdaient, il n’y avait pas plus de distance entre le fond de la vallée et moi qu’entre d’autres points beaucoup plus proches et moi – je ne sais pas comment tourner cette phrase et j’ai envie d’écraser une mouche qui m’embête, mais j’ouvre la fenêtre, mais elle ne sort pas, et je me rends compte à quel point je suis tendu vers le texte, à quel point j’ai terriblement envie que quelque chose se passe, que quelque chose se passe maintenant."

mardi 4 décembre 2012

Nos propres paroles

– Quand on chemine sur notre propre chemin apparaissent des paroles qui nous sont propres. Elles nous permettent de partager nos expériences pour qu’on puisse cheminer ensemble.

lundi 3 décembre 2012

Une minute

Vu à l’entrée des toilettes d’un restaurant, à Porto:

"Une minute n’a pas la même durée suivant de quel côté de la porte on se trouve."

dimanche 2 décembre 2012

L'écriture, la méditation

L’écriture, mettre ma connaissance en forme pour la présenter au monde, la méditation, mettre ma connaissance en forme pour moi.

samedi 1 décembre 2012

Marcel Duchamp et les restes du ready-made

Marcel, Duchamp, et, les, restes, du, ready-made: sept objets prêts à l’emploi que j’ai à ma disposition pour m’exprimer, une jolie petite collection que je peux arranger à ma manière. Sept objets dont je suis le producteur et qui sont nés à la fois de mon savoir-faire dactylographique, de l’appui technologique offert par mon Mac et du respect rigoureux, ne laissant pas la moindre place à l’improvisation, des règles de l’orthographe et de la grammaire de la langue espagnole. Sept objets tout neufs, pas encore utilisés, que j’ai choisi de disposer à l’entrée de ce texte en suivant l’exemple d’Horacio qui a, lui, choisi de disposer des objets très semblables, des objets qu’il a construits avec son propre savoir-faire artisanal, sur la couverture de son essai.

Dès que je le pose sur cette page, chacun de ces objets acquiert de la valeur: quelques centimes, un pourcentage de la somme sur laquelle nous nous sommes mis d’accord avec Horacio pour ce prologue. Si je le pose sur une autre page, il ne vaudra peut-être rien, peut-être beaucoup plus, et si, pris par mon élan, par mon plaisir d’écrire, je me lance dans un interminable exposé, ce pauvre petit objet perdu dans la masse torrentielle de mon inspiration verra sa cote baisser à vue d’œil. Il est à noter que la valeur de chacun des objets qui composent ce texte suivra strictement la même courbe: privilégier l’une de ces marchandises par rapport à l’autre n’aurait, vous serez certainement de mon avis, pas le moindre sens.

Une fois sur cette page, ces différents objets changent non seulement de valeur, mais gagnent aussi en épaisseur. Tout lecteur ayant ouvert ce livre abordera en effet chacun de ces petits objets prêts à l’emploi avec une attention décuplée: il se gardera bien de laisser son regard passer sur eux comme il le ferait sur des objets similaires disposés, par exemple, sur la page de son journal du matin. Non, pas du tout. Le lecteur, sachant pertinemment qu’il serait mal venu de prendre ces objets pour des objets quelconques, va les observer sous toutes les coutures, de face, de profil, il va les inspecter minutieusement, conscient du fait qu’ils ont, chacun, été choisis avec beaucoup de soin par un écrivain désireux de les arranger d’une manière digne de se retrouver dans l’écrin prestigieux d’un livre d’art.

En effet, tout est question d’arrangement, les objets à ma disposition à l’intérieur de la langue espagnole sont en nombre limité. Je pourrais naturellement faire confiance à mon inspiration et en fabriquer d’autres, absolument nouveaux, absolument contemporains, collant absolument à la subtilité de ma pensée originale et personnelle, mais je serais très embêté au moment de les utiliser, à moins, bien entendu, que je ne destine ce texte éventuel à mon seul usage. Reste, donc, à faire résonner ces objets communs les uns avec les autres en les disposant de manière suggestive à l’intérieure de phrases construites dans le respect absolu de la syntaxe.

Plutôt que de m’acharner à suivre mon inspiration personnelle en cherchant le moyen de créer des objets à mon image, je serais sans doute plus avisé de modifier insensiblement le sens d’un objet préexistant, par exemple l’objet « fontaine », objet que je pourrais associer, en suivant l’exemple de Marcel Duchamp, à un simple urinoir du genre de ceux qu’on trouve dans le commerce. Ce faisant, et pour autant que mon association ait autant de succès que celle réalisée par mon illustre prédécesseur, je pourrais glisser dans l’épaisseur de l’objet « fontaine », l’idée d’un urinoir. Reste alors à déterminer la manière dont se répartirait la valeur de l’œuvre ainsi obtenue entre « fontaine » et cet autre objet du monde qu’est l’urinoir. Est-ce que « fontaine » aurait gagné de la valeur dans ce processus ? Est-ce que je pourrais, dès lors, vendre « fontaine » séparément de l’urinoir ? À quel prix ? Est-ce que, du coup, l’urinoir vaudrait moins cher ?

J’aurais également pu choisir de m’intéresser à ces signes de ponctuation, autres objets prêts à l’emploi, que j’ai rajoutés entre les sept éléments de ma collection première. Une virgule semblable employée par Horacio, dans l’une des installations qu’il expose depuis déjà quelque temps, entre des carrés de couleur possédera sans aucun doute, non seulement une tout autre profondeur conceptuelle que n’importe laquelle des miennes, mais également une valeur marchande beaucoup plus intéressante que l’immense majorité des virgules dispersées sur une page, même sur la page d’un livre, même sur la page d’un livre d’art, même sur la page d’un livre d’art écrit par un artiste, serait-ce Horacio Zabala en personne.