jeudi 31 mai 2012

Fille, tu es ar-gen-tine!

Fille, tu es ar-gen-tine! On vient de te faire tes papiers, tu sais, dans cet endroit avec beaucoup de bruits bizarres entre le taxi et le taxi. Tu as l'air d'aimer ça le taxi: une vraie demoiselle de grande ville!

Pour finir, ça s'est nettement mieux passé que prévu, juste la dame de la maternité qui avait oublié de copier mon nom de famille à côté de celui de maman sur le papier qui dit quand tu es née. Alors Marta, l'autre dame, celle qui devait s'occuper de tes papiers à toi, elle a fait un peu la tête. Elle a dit "Je dois aller voir Monsieur le Juge", mais quand elle est revenue, tout était en ordre. Enfin presque. Notre mariage, tu vois, on l'a fait en Suisse, alors il faut voir avec un autre Monsieur le Juge si notre mariage en Suisse ressemble assez à un mariage argentin pour faire comme si on s'était mariés ici aussi.

Heureusement que Jacquie était là! Jacquie, c'est la copine de Rodo, le monsieur avec qui je vais courir autour du lac dans ce parc où on va tout bientôt aller rouler avec ta toute belle poussette, celle qui est incassable et qui a trois centimètres en trop pour l'ascenseur. Jacquie, elle connaît bien Marta parce qu'elle aussi elle travaille dans la Commune 10, celle de Flores, dans les bureaux des papiers d'identité. C'est pour ça qu'elle a pu nous arranger très vite un rendez-vous et qu'elle a pu dire "Pardon" à Monsieur le Juge qui passait par là "on aimerait juste vous demander quelque chose", parce que n'importe qui ne peut pas juste arrêter un Monsieur le Juge au passage et lui demander ça.

Monsieur le Juge a expliqué qu'on devait inscrire notre mariage ici, en Argentine, mais qu'il ne pouvait pas le faire lui, parce qu'il travaillait justement dans le bureau des papiers d'identité et que nous, on ne pouvait pas le faire non plus à l'adresse que Marta nous avait donnée sur un petit bout de papier: on devait demander à un avocat de faire ce qu'il fallait faire, mais on devait faire attention à combien d'argent il allait nous demander parce que, des fois, les avocats méchants "demandent des fortunes juste parce qu'on est étrangers."

Heureusement, nous, un avocat, on en a un, tu sais, Adolfo, le monsieur avec des cheveux blancs qui était témoin à notre mariage, le deuxième qu'on a fait, ici, à Buenos Aires, après celui dans la chapelle construite par arrière-grand-papa dans les montagnes en Suisse. Mais bon, chère petite Argentine, tu comprends, un mariage bouddhiste, même s'il est très beau, même s'il est célébré par un vrai moine japonais, un Monsieur le Juge, ça l'intéresse pas trop.

mercredi 30 mai 2012

Parce que je suis en train de le faire

Revenir au petit mantra en trois points:

1. Si je suis vraiment honnête avec moi-même, il me faut bien admettre que, quoi que je puisse faire ou imaginer faire, ça ne sert finalement pas à grand-chose.

2. Est-ce que ce que je fais doit vraiment servir à quelque chose?

3. Faire ce que je fais le mieux possible, parce que j'ai appris à le faire, parce que je suis en train de le faire.

mardi 29 mai 2012

L'aveuglement de l'autre

Ce qu'il y a de pénible avec l'aveuglement de l'autre, c’est qu'il me rappelle mon aveuglement à moi, cet aveuglement que, justement, je ne peux pas voir.

lundi 28 mai 2012

Cleptomanie hospitalière

En entrant à la Clínica Suizo-Argentina, Celia a déclaré un appareil de photo numérique. Moi, un iPod et un iPad. La dame a soigneusement noté les numéros de série desdits appareils avant de déballer trois petits antivols du genre de ceux qu'on peut trouver dans les FNAC du coin.

Même si, par ruse, on a fini par coller les antivols en question directement sur l'iPod (numéro de série: 8GB) et sur l'iPad (numéro de série: 64GB), plutôt que sur leurs coques de protection respectives – la dame était d'accord avec nous, ça serait un peu facile à enlever –, je dois avouer que le "bonne chance" modérément enjoué de notre protectrice n'a pas exactement été de nature à me rassurer.

dimanche 27 mai 2012

Au milieu d'une page blanche

Une note, de 2009:

"Être ici, c'est comme se retrouver au milieu d'une page blanche. Une fois retirées toutes les contraintes, on se retrouve face à soi, uniquement face à soi, face à ces bâtons qu'on se met soi-même dans les roues.

Cette corde que je tire, qui passe à travers des poulies et des engrenages et ce seau d'eau qui me tombe sur la tête, ce seau que je ne suis en général pas capable de relier à la corde que je viens de tirer."

samedi 26 mai 2012

A forces égales

Souvent, je donne ma force à l'autre. Souvent, je me trompe.

vendredi 25 mai 2012

Un certificat de domicile, c'est facile!

Étapes nécessaires à l'obtention d'un certificat de domicile argentin:

1. S'annoncer au commissariat du quartier.

2. Attendre un policier en train d'alterner nonchalamment téléphones et remplissage de formulaires, un policier qui, tout d'un coup, difficile de savoir pourquoi, se lève et expédie en deux minutes chrono les affaires des huit personnes qui, elles aussi, attendent depuis une heure.

3. Montrer son passeport et, si nécessaire, celui de sa conjointe.

4. Aider le policier à remplir un formulaire avec nom, prénom, adresse et numéro de passeport. Réitérer le cas échéant l'opération au bénéfice de la susdite conjointe.

5. Payer 10 pesos (par formulaire).

6. Être présent chez soi afin de recevoir un émissaire du commissariat "dans les 48 heures ouvrables." C'est-à-dire? "Genre lundi ou mardi."

7. Répondre à l'interphone.

8. Donner Lucie – qui se refuse obstinément à dormir – à sa maman.

9. Ouvrir à l'émissaire du commissariat – un type comme vous et moi, en training, avec un sac en bandoulière et un grand sourire – qui vous tend les deux formulaires sans même vous demander votre nom. Alors, vous voyez, ces beaux passeports rouges à croix blanche que vous aviez pris dans votre poche au cas où...

10. Prendre bonne note du conseil prodigué par l'émissaire en question selon lequel ce certificat de domicile ne dispose pas d'une réelle durée de validité mais, selon ses termes: "il faut quand même pas trop trainer."

11. Scanner immédiatement ledit certificat et en imprimer sans tarder une copie étant donné que tous les documents officiels seront, sans faute et sans exception, présentés avec leur photocopie.

12. Reprendre Lucie des bras de Celia qui ne serait pas exactement contre une petite sieste.

jeudi 24 mai 2012

Le métier de retraité

Moi, quand on me demandait ce que je voulais faire quand je serais grand, je répondais sans hésiter: retraité!

À présent, je suis grand, j'exerce la profession de mes rêves et, je dois l'avouer, elle est loin, mais alors très loin de combler tous les espoirs de mes tendres années.

mercredi 23 mai 2012

Un roman qui se construit tout seul

Quand j'ai mis en ligne cette rencontre avec Nicolas, je pensais bien que ça allait faire péter les compteurs du blog. Ce que je n'avais pas prévu, par contre, c'est qu'un de mes lecteurs irait aussi regarder du côté de "Une liberté bien encombrante" et qu'il allait y revenir – mais peut-être que c'était quelqu'un d'autre.

En lien avec cette magouille à un milliard d'euros, ma petite note métaphysique, bien innocente, autour de tout ce temps que je voulais pour moi, ce temps que je me suis débrouillé pour avoir et dont je ne sais plus trop quoi faire, prenait tout d'un coup bien malgré elle des allures d'aveu de culpabilité déguisé.

Alors, d'elle-même, grâce à la fois aux hasards du Net, à mon imagination galopante et à deux doigts de parano, la trame d'un roman s'est mise à émerger. Je ne doutais pas une seconde que Peu importe où allait me réserver des surprises, mais là, je dois dire que ça dépasse de très loin mes attentes!

mardi 22 mai 2012

Petit traité de l'originalité

Une note, de 2008:

"Si je relie le bouddhisme à l’idée de travail artistique: plus on est soi-même, plus on est comme tous les autres, capable d’entrer en contact avec eux par ce qu’on a tous en commun. À creuser. Et à reformuler. Si je suis plus moi, je suis plus tous les autres. Quelque chose dans le genre."

lundi 21 mai 2012

Un milliard d'euros

Akoya, ça me disait quelque chose. Pour en avoir le coeur net, j'ai cherché dans mon carnet d'adresses et je suis tombé sur Nicolas, le gars sympa et plutôt mignon – tout à fait d'accord avec Celia – qui avait fait le voyage entre Genève et Lisbonne avec nous, en septembre, quand on était allé faire un tour au Portugal pour voir si on pourrait pas aller y vivre après Buenos Aires.

Vu qu'on est plus ou moins du même âge, on s'était assez vite trouvé un ami en commun et, pendant qu'on mangeait sans trop d'entrain notre riz casimir dans sa boîte en carton, Nicolas nous avait conseillé deux ou trois coins à ne surtout pas manquer. Avant, il était à l'UBS, mais là, depuis quelques années, il bossait dans une petite boîte de gestion de fortune: Akoya Asset Management. Il nous avait passé sa carte au cas où on décidait de s'installer pour de bon dans son pays.

Dans l'article du 24 Heures, ils parlaient d'une fraude évaluée à un milliard d'euros et ils donnaient seulement le nom d'Akoya: un Suisse et deux de ses associés portugais étaient en prison préventive. En cherchant un peu plus loin, je suis tombé sur un papier de l'Expresso qui faisait effectivement référence à Nicolas et là, ça m'a quand même fait bizarre.

dimanche 20 mai 2012

Ma très chère douleur

Ces derniers jours, en goûtant au plaisir des queues pour les papiers de Lucie et pour les nôtres, je découvre Cioran dans un exemplaire en espagnol d'Aveux et anathèmes prêté par mon ostéopathe.

Je tombe sur ce fragment qui, en français, devait donner à peu près ceci:

"Ce qui est douleur est non-moi. Difficile, impossible d'être d'accord avec le bouddhisme sur ce point, cependant capital. La douleur, c'est ce qui est le plus nous-mêmes, le plus moi. Étrange religion: elle voit de la douleur partout et, en même temps, la déclare irréelle."

Quand je parle de cet extrait avec Adrián venu faire la connaissance de Lucie après une grillade avec des copines à Belgrano, sa réaction est immédiate:

– Ah, cette philosophie occidentale qui n'est pas capable de concevoir la vie sans douleur!

Gustavo, quand il aborde cette question, explique en général les choses de cette manière:

– L'égo adore faire son cinéma et rien de tel que la douleur pour ça. Il n'est jamais aussi content que quand on souffre, jamais aussi resplendissant, aussi à même de nous faire croire la fable de son existence, de nous faire gober que, sans lui, nous n'existons pas.

Cioran, si je comprends bien, devait tenir encore plus à sa douleur qu'à ses maigres heures de sommeil.

samedi 19 mai 2012

Une définition de la souffrance

– La souffrance, ça peut se définir comme la distance entre ce qui est...

Gustavo pose une main à plat dans l'air, à la hauteur de son ventre.

– Et ce que j'aimerais que ça soit.

Il pose l'autre main à plat dans l'air, un peu plus haut, à la hauteur de son visage.

– Il y a deux manières de souffrir moins. Je peux changer ce qui est, changer le monde.

La première main monte vers la deuxième, redescend.

– C'est possible, bien sûr, mais ça demande beaucoup d'énergie.

Grand sourire, en bout de table, sous l'autel du salon oriental.

– L'autre manière, c'est de modifier mes attentes.

La deuxième main descend vers la première, remonte.

– À vous de voir.

vendredi 18 mai 2012

La B.O. de la naissance

Pitch, qui est décidément quelqu'un de très pragmatique, m'a proposé dans son dernier mail de lui faire partager, grâce aux miracles d'Internet et pendant qu'on faisait péter le champagne, la B.O. de cette merveilleuse naissance.

Autant dire que je me suis empressé de faire grimper le fameux Mare Nostrum sur ma Dropbox avant d'y rajouter, pendant qu'on y était, l'Éternité et un jour.

Alors, vu qu'on est entre amis, presque en famille, si ça intéresse quelqu'un: vous savez où me joindre.

jeudi 17 mai 2012

Première sortie à la Tolva

Si vous aviez choisi de passer votre fin d'après-midi à la Tolva, sans doute sur la terrasse vu la température plus que clémente pour une mi-mai, à lire le Clarín ou peut-être la Nación, ou, qui sait, à commenter la énième grève du métro avec vos habituelles compagnes de thé, vous auriez pu voir s'approcher à pas précautionneux un petit couple à moitié endormi, le papa chargé d'un précieux sac brun qu'il porte en bandoulière, serré contre lui au creux de son bras aussi crispé que pour un premier cours de tango.

Après une photo prise par la maman aux anges – c'est pas vrai, t'as encore les yeux fermés! – sous l'enseigne juste à côté de cette table sur laquelle vous auriez pu, en toute discrétion, poser votre journal pour essayer de jeter un oeil au fond de ce mystérieux sac brun, comme ça, en passant, au moment où les jeunes parents entraient dans ce bistro dont les serveurs avenants se sont empressés de lever les bras au ciel en les voyant débarquer – ¡Hola! ¿Cómo están? – avant de risquer un index timide sous une douce couverture à coeurs et d'apercevoir, mais, vous savez, c'est sa première sortie, elle sera plus réveillée la prochaine fois, un misérable morceau de joue enfoui sous un ravissant bonnet blanc à fleurs bleues.

mercredi 16 mai 2012

Lumière, mais en japonais

Après avoir exposé à Gustavo mes tourments postpartum, après avoir écouté ses conseils comme souvent d'une simplicité désarmante, rien de tel qu'un brin de causette avec un moine bouddhiste pour vous faire prendre un poil de distance avec ce qui vous arrive, je me suis tout d'un coup rendu compte que nos deux filles portaient le même prénom: Hikari, en japonais, ça veut aussi dire lumière.

mardi 15 mai 2012

Un cèdre pour Lucie

À l'oncle Charles, de passage au Liban, on a remis des graines de cèdre avec toutes les instructions nécessaires pour les faire pousser en terres helvétiques: ça sera le cèdre de Lucie, il nous l'a annoncé sur Skype pendant que je faisais des acrobaties avec l'iPad pour qu'il puisse voir la frimousse de sa petite-nièce pendue au sein. Il va le planter dans ce pâturage qui plonge vers les Alpes des Grisons, juste à côté de la chapelle familiale de Baldo où le papa de Celia avait installé, pour notre mariage, une très belle flamme en dalle de verre faite avec beaucoup d'amour.

Sur notre grand lit défait, dans la lumière blanche de cette fin de matinée d'automne, Celia appuyée contre le mur avec dans les bras une Lucie en train de s'endormir, repue, son petit sourire en coin, moi, en tailleur, mon iPad en équilibre sur les tibias, on se retrouve au milieu des odeurs d'herbe et de dernières neiges, en face de ces montagnes les unes derrières les autres jusqu'en Italie, et ni les toits ébouriffés, là, de l'autre côté de la vitre, ni le ciel interminable de Buenos Aires ne se sont fait prier longtemps, on peut les comprendre, pour nous accompagner dans notre paisible excursion pastorale.

Peu importe où, disait-on?

lundi 14 mai 2012

Pragmatisme adminitratif

Dans mes notes de 2007, j'ai retrouvé une petite phrase prononcée au mariage d'Arnaud et Mélanie par la fonctionnaire d'état civil, femme au demeurant placide et bien intentionnée:

"C’est un nouveau document qui remplace l’ancien: si vous avez un enfant, on le détruit et on vous en donne un autre."

dimanche 13 mai 2012

L'obstéricienne et le plombier

– Encore un petit truc. Le viatique pour la sage-femme, je crois que c'est ok, non?

– Les 350 pesos, oui.

– Parfait. Mais... Je crois que je vous en avais parlé: comme on a dû passer par une césarienne, il faudrait aussi donner quelque chose à l'autre obstétricienne qui m'a assistée pendant l'opération, celle qui était de garde, vous vous souvenez? Ça serait 500 pesos que vous pourriez me payer une fois que vous serez sortis de la clinique, dans une semaine à la prochaine consultation. C'est quoi qui te fait rire?

– Non, rien. C'est juste que ça fait une argentinade de plus...

– Tu peux rentrer en Suisse, si tu préfères! Moi, la Swiss Medical me paie à quatre mois et je suis pas défrayée pour mon équipe... Si tu fais venir un plombier chez toi, tu vas quand même pas lui demander une facture, non? Et puis, combien elle vous demandait, la sage-femme pour les accouchements à la maison?

– Écoute, Claudia, c'est pas une histoire de fric, c'est une question de manière.

– Oui, je sais, "on vous couvre sans maximum et sans limites", ce genre de trucs...

– Non Claudia, c'est pas ça. C'est comment ça s'est passé pour qu'on en arrive là, comment tu t'y es prise pour qu'on se décide à venir à la Suizo alors qu'on savait très bien que c'était pas encore le moment: tout allait bien, l'écho était parfaite, juste tes "légers doutes d'une professionnelle avec ses trente ans de carrière"...

– Ah, les fameux accouchements humanisés... Mais le reste, c'est quoi? Des accouchements animalisés?

– Claudia, on est entrés à 9h30. Si à 14 heures on savait déjà qu'on allait devoir passer sur le billard, pourquoi Celia a dû se taper encore deux heures de contractions? Tu trouves pas que ça fait beaucoup de douleur pour des prunes?

– C'est qu'il y avait pas de salle d'opération de libre et que, moi, j'avais pas encore fini au cabinet. Et puis je me disais que, peut-être, dans l'intervalle, ça pourrait dilater un peu plus, comme ça, tout d'un coup. On a déjà vu des cas...

– Ce que je regrette, au fond, moi, c'est de pas avoir pu mieux te communiquer ma confiance pour qu'on puisse attendre jusqu'à lundi, histoire de voir ce qui allait se passer pendant ce weekend de pleine lune.

– La pleine lune, ça fait pas partie de mes critères et puis, tu sais, ça n'a rien à voir avec ta confiance, c'est juste qu'il y a des règles médicales qu'il faut appliquer et qu'on peut pas commencer à faire n'importe quoi. Sept jours après le terme, c'est le protocole, c'est comme ça. Ça m'est déjà arrivé que des mères ne viennent pas au rendez-vous pour l'induction et, des fois, ça finit en tragédie, du genre de celle qu'on a frôlée mardi dernier avec ce bébé qui s'était fait un noeud avec son cordon ombilical autour du cou...

samedi 12 mai 2012

Première esquisse d'une mise au monde

En me laissant porter par les rues – le petit bonhomme blanc, on traverse, le petit bonhomme rouge, on tourne –, je me suis tout d'un coup retrouvé à un carrefour qui me disait vaguement quelque chose. J'ai levé les yeux et j'ai vu, là-haut, sur le toit d'un immeuble au milieu du bloc, un grand panneau publicitaire pour Matercell, la banque de cellules-souches dans les locaux de laquelle on avait eu nos quatre cours de préparation à l'accouchement avec Marcela, notre sage-femme officielle. On avait reçu beaucoup de jolis petits échantillons en tous genres, plusieurs propositions de concours histoire de récolter nos adresses et il nous avait même été proposé de donner un peu de ce bon sang du cordon ombilical de notre enfant, par charité, à ceux qui pourraient en avoir besoin. Mais non, merci, sans façon.

Après quelques carrefours à gauche et quelques carrefours à droite, j'ai vu dépasser l'enseigne du Jumbo de Villa Crespo: c'était là, juste à côté, que se retrouvaient tous les mardis soir l'équipe de Vendy, Fran et Natalia avec les parents qui avaient choisi d'accoucher à la maison. Beaucoup plus respectueux de la personne que ces cliniques privées où vous poussez comme vous pouvez pendant le temps qu'on vous laisse pour ça dans une chambre bleu clair – lino gris, vitre dépolie sur cour intérieure, néons en option – et où on vous ouvre le ventre pour un oui ou pour un non, ça c'est sûr, super sympa, des vrais potes, tendance bouddhistes et tout ce qu'on voudra, mais peut-être un tantinet baba, non? En Suisse, je dis pas, mais là...

Refaire, d'un bloc à l'autre, les premiers mois de cette Lucie qui s'appelait encore Crevette, ça m'a permis de voir un peu plus clair dans ce qui a conduit à cet accouchement que je ne sais pas encore très bien comment écrire, cet accouchement qui s'est passé de la meilleure manière possible étant donné qu'il s'est passé comme ça – d'accord, mais bon... –, cet accouchement pas exactement humanisé – de la sécurité, on en voulait, on en a eu! – qui nous reste encore pas mal en travers de la gorge et dont le récit détaillé – mais la mère et l'enfant vont bien, qu'est-ce qu'on veut de plus? – venait de faire grimper au mur mon cher Leveratto pendant pas loin d'une heure.

vendredi 11 mai 2012

Gagner en réalité

Une note, de 2007:

"Écrire devrait être un art de vivre, pas une manière de me réaliser – ou alors de me réaliser au sens de devenir réel."

jeudi 10 mai 2012

Suédoise par sa mère

Vu qu'en général, dans ces contrées de la bricole généralisée, l'administration a une fâcheuse tendance à tordre le bâton dans l'autre sens et à suspecter derrière le moindre chiffre de travers une tentative de fraude en puissance, cette Celia devenue soudainement suédoise – suiza, sueca, ici, c'est un peu comme chilienne et colombienne chez nous: c'est du pareil au même – n'allait pas manquer de générer, dans le meilleur des cas, quelques bonnes heures de démarches supplémentaires.

Alors, après consultation téléphonique avec Marcela, la sage-femme à l'origine de la suédoisité de ma tendre épouse, j'en ai profité d'être encore sur place pour me dépêcher de faire appel au médecin-chef du département d'obstétrique de la Suizo-pas-Sueco-Argentina dans le but de rétablir cette erreur malheureuse, là, au bout de la troisième ligne de cette vague photocopie qui fait office, si on en croit son titre, d'Acte de Naissance, photocopie remplie à la main, pliée en quatre et glissée gentiment dans ma poche par la susnommée sage-femme qui s'est empressée de me demander si on pourrait pas régler tout de suite, oui, ça serait plus simple, comme ça je vous dérange plus après, cette histoire des 350 pesos de "viatique" – Swiss Medical, à ce qu'il paraît, paie tard et mal – dont il avait été question pendant le dernier cours de préparation à l'accouchement, ma poche au fond de laquelle Marcela a dû se servir elle-même, oui, vas-y, le compte est bon, étant donné que je tenais Lucie, à peine sortie du ventre de sa Suédoise de mère, dans mes bras depuis au grand maximum trois minutes.

mercredi 9 mai 2012

Des nouveaux parents, ça pleure énormément

Des nouveaux parents qui rentrent de la clinique, d'abord, ça pleure tout le temps, ensuite ça trouve rien de ce qui était soigneusement rangé, ça se bat avec des pressions qui sont jamais où elles devraient, ça tourne un peu en rond, hagard, genre je suis justement venu au salon pour faire quelque chose mais je sais plus quoi, ça regarde Lucie dormir, ça passe à la salle de bains prendre une bouffée du parfum de toutes les fleurs qui sont dans un seau dans la baignoire, ça jette un oeil à tous les mails, à tous les messages sur Skype, aux statistiques du blog – oui, on est rassurés, Lucie est une star! – et puis ça pleure encore un coup parce que le papa a eu l'excellente idée, mais ça partait d'une bonne intention, d'ouvrir iTunes et de cliquer sur ce sacré Mare Nostrum de Fresu et Galliano dont les lecteurs assidus de ces entrées journalières connaissent déjà les effets dévastateurs.

mardi 8 mai 2012

Les hivers se mélangent

Une note, d'avril 2009:

"Aujourd’hui, premiers froids. Beaucoup d’anciens hivers se mélangent en moi. J’ai de la peine à savoir lequel me revient, ou si plusieurs ensemble me reviennent, si je les charge les uns avec les autres."

lundi 7 mai 2012

Lucie

Tu sais, Lucie, pendant qu'on faisait les cent pas, tous les deux, dans la suite 1114 de cette Clínica Suizo-Argentina où naissent tous les enfants de stars, pendant que je te chantonnais, à mi-voix, comme je pouvais, cette mélodie de l'Éternité et un jour que tu as écoutée depuis le début de ton existence dans ce minuscule corps, tout neuf, que la nature t'a prêté pour le tour de manège de cette vie-là, pendant que je regardais, depuis notre onzième étage, les toits de Buenos Aires coiffés de leurs lumières rouges diluées dans le brouillard de début mai, je me suis dit que tu étais en train de me montrer à ta manière, très chère senseicita, à quoi ça pouvait ressembler cette fameuse illumination.

T'avoir là, couchée au creux de mes mains, les jambes appuyées contre mon sternum histoire que tu te croies encore dans le ventre de Celia, te manger des yeux dans ce premier jour qui commençait à poindre au-dessus des eaux rousses du Rio de la Plata, ça m'aidait à voir à quel point ces idées bizarres de passé et de futur, d'ici, de là-bas et surtout de là-haut, c'était vraiment fait pour qu'on tourne en rond dans sa tête, fait pour serrer encore un peu plus ces petits nœuds qu'on a tous au fond du cœur, ces petits nœuds qui nous donnent l'impression qu'on existe et qu'on est vivants, alors que – tu as l'air de le savoir beaucoup mieux que nous – ça n'a bien entendu rien à voir.

dimanche 6 mai 2012

Une liberté bien encombrante

Une note, de 2006:

"Cette liberté, tellement grande qu’elle ne me laisserait plus aucune place."

samedi 5 mai 2012

Le bonheur des lettres

Les lettres se sont mises à bouger sur la tombe de papa, là-bas, sur les hauts de Zurich, quand maman est venue lui dire qu'on attendait un enfant.

jeudi 3 mai 2012

Près de la source

– Je vais garder ton idée de "source". Quand on vise quelque chose, on a vite tendance à croire que ça vient après, alors que ce n'est ni avant ni après: c'est, justement.

Ce temps qu'on compte à l'envers

Aujourd'hui, petite photo-passeport pour notre document de résidence permanente, celui-là même dont va nous faire cadeau Crevette en naissant.

Alors, en attendant notre "membre de la famille proche argentin", on s'assied à tour de rôle sur le petit tabouret derrière la porte du photographe et on fait notre plus beau sourire à l'employée qui nous immortalise – flash! – avec son appareil numérique.

Voilà, sur notre fameux DNI, on aura ces têtes-là: un peu cernés, décoiffés, pas très frais, enfin bref, le genre de gueule qu'on peut avoir quand ça fait une semaine qu'on compte le temps à l'envers à partir du jour qui était censé faire de nous d'adorables jeunes parents.

mercredi 2 mai 2012

Comprendre, croire et compagnie

Une note, de 2009:

"Comprendre, c’est essayer de donner des preuves à ses croyances.

Comprendre, c’est s’approprier. Croire, c’est être en compagnie de."

mardi 1 mai 2012

Petit cours de conduite au cimetière

Quel meilleur endroit qu'un cimetière, tellement grand qu'on y entre en voiture et qu'on peut y prendre un bus pour arriver auprès de son défunt, un cimetière rempli de mausolées prétentieux dont la plupart sont laissés à l'abandon, leurs portails grinçant dans les bourrasques d'automne, les cercueils de leurs familles autrefois pleines aux as empilés en sous-sol et recouverts de bouts de vitraux et de porcelaine – on s'attendrait presque à voir sortir une main, cliquetis des bagues autour des vieux os, pour faire de jolis petits tas, histoire, au moins, de sauver les apparences –, quel meilleur endroit, je vous le demande, que ce cimetière de Chacarita pour faire cette bonne heure de marche destinée à vanter auprès de Crevette, en s'appuyant, il est vrai, tout particulièrement sur les arguments imparables de la gravité, les charmes de ce monde qui l'attend les bras ouverts?

Afin de ne pas réduire à néant tous ces beaux efforts, encore faudrait-il ne pas se faire écraser par cette jeune conductrice en train de maltraiter la voiture de son amoureux en se donnant toutes les peines du monde pour saisir – mais, de nouveau, quel meilleur endroit qu'un grand cimetière pour ça, surtout un lundi décrété jour férié pour cause de veille de premier mai? – la psychologie complexe de ce couple, susceptible s'il en est, formé par la pédale d'embrayage et son grand amour inavoué, sauvage, imprévisible, rauque et sensuel, ce beau voyou que la vie lui a donné pour éternel voisin, j'ai nommé, vous vous en étiez douté: l'accélérateur.