vendredi 28 février 2014

Coucou!

– Coucou!

– Oui, il est là le bébé, dans le ventre de maman.

– Dodo?

– Oui, il fait dodo.

jeudi 27 février 2014

Encore meuh!

Après une bonne partie de la journée passée à finaliser les corrections du Sirius avec Emmanuelle, les montagnes des Diablerets m'ouvraient grand leurs bras pleins de neige, l'air fin entrait de lui-même jusqu'au fond de mon ventre et les génisses, bien au chaud dans leur étable, faisaient des sourires amoureux à Lucie.

- Encore meuh! Encore meuh!

- Mais oui, mais oui: on a tout notre temps.

mercredi 26 février 2014

De moins que zéro

- Chaque fois qu'on se met à travailler sur un nouveau texte, c'est comme si on devait tout recommencer.  Pas de zéro, grâce à l'expérience de nos échecs accumulés. De moins que zéro.

mardi 25 février 2014

Petits bonheurs de la déclivité

Un note, de 2004:

"La rue pavée s’incline quelques mètres plus haut, en amont, juste avant de rejoindre le flot des citadines estivales clignant des yeux derrière leurs lunettes à la mode (plaques de verre fumé, larges, en dégradé cette année : différentes couleurs, existe aussi en irisé, mais c’est plus cher) au sortir du passage souterrain, caisse de résonance des rires, des éclats étonnés, éphémères, ou de différentes musiques à la joie poussive, issues d’un répertoire la plupart du temps disons restreint.

La déclivité prononcée (à laquelle s’adjoint, chez certaines, le port de talons peu propices aux pavés) accentue les démarches à la limite de la caricature : déraisonnables, les déhanchements font rebondir les poitrines sous les tissus fins régulièrement transparents, assez tendus, en tout cas, sur les globes de chair ferme (du moins présentée comme telle) pour laisser apprécier le braille des dentelles (ou alors le signe plus directement lisible des tétons agacés, ouh la la, par le textile).

Rangée de tables rondes parquées derrière une balustrade, modeste, la terrasse posée là, discrètement, sur le côté, en aval du confluant des deux marées mammaires (celle de la caverne et celle de la rue), constitue une station de choix pour tout mâle jeune, moins jeune et encore moins jeune, lecteur par prétexte (qui un journal, qui un roman qui, décidément, avance peu) mais buveur par plaisir.

Solitaire solidaire, pas au point, cependant, d’échanger avec l’un de ses voisins d’expectative des commentaires plus ou moins amènes, envieux ou, qui sait, sarcastiques, sur la morphologie de celles qui s’aventurent sur la déclivité périlleuse : chacun garde ses goûts pour lui, donc sa bonne conscience, donc le droit de rester quelques bières de plus sur ladite terrasse à baver dans l’intimité de sa propre bouche, bouche pendue à d’autres lèvres humectées d’autres liqueurs. Ceux qui n’aiment pas la bière sont, en effet, libres de boire autre chose. Mais là n’est pas la question.

À force de mater, l’une d’entre elles va bien finir par sortir du lot (il s’agira, alors, de sauter par-dessus la balustrade tout en se labourant les neurones à la recherche d’un prétexte d’accostage quelconque, ce qui n’est pas sans demander une certaine coordination des fonctions motrice et cognitive), être encore plus attirante que toutes les autres. Le problème se pose rapidement en d’autres termes : elles sont toutes, à leur tour, plus attirantes que toutes les autres, le temps que passe la suivante et que l’excitation rebondisse. Des donjuanismes carabinés ont été diagnostiqués pour moins que ça. Quant à l’internement, c’est une autre histoire. L’été."

lundi 24 février 2014

Une énergie centrale, mentale, morale

Une note, de 2010:

"Sentir, aussi, l'état dans lequel je suis quand j'arrête d'écrire, cette énergie qui m'habite, cette énergie qui n'est plus vraiment une énergie hyperactive, euphorique et superficielle, qui est une énergie centrale, du genre de celle que je peux sentir en sortant de la piscine ou après être allé courir, une énergie de ce type, mais mentale, morale, quelque chose dont je me sens plein, quelque chose que j'ai activé à travers ma concentration dans l'écriture de ce monde à l'intérieur de moi."

dimanche 23 février 2014

Le langage de Dieu

– Le silence est le langage de Dieu, tout le reste n’est qu’une pauvre traduction.

samedi 22 février 2014

Les connexions du présent

Une note, de 1999:

"Le seul moyen de se plonger dans l'instant présent, de se laisser submerger par lui, est de percevoir ses connexions avec un passé idéalisé et un futur fantasmé."

vendredi 21 février 2014

Un petit filet de sang

Ton regard noir planté dans le fond du tunnel, tes cheveux qui montent, qui se dispersent sur tes épaules, sur l’une, sur l’autre, mèche après mèche, qui tournent autour de toi : élévations, dilatations, impacts en rafales. Tes seins font jouer les tissus les uns sur les autres, tes muscles modifient sans arrêt l’itinéraire des coutures sur tes fesses, l’équilibre de tes poches autour de la couture plus grossière qui les sépare.

Les pas s’organisent autour des cambrures et des chairs bombées, des inclinaisons plus ou moins spectaculaires qui se redressent à l’approche des phalanges prises dans des lanières qui les plaquent, qui les contraignent, qui les restreignent, qui les blessent peut-être comme ton gros orteil dans son collier de cuir noir. Petit filet de sang sur le bord de ton ongle.

Juste de quoi t’éclipser avant la fin du tunnel, juste de quoi décrocher la sangle étroite autour de ta cheville et poser ton pied sur le dernier lavabo en face des toilettes, de quoi l’examiner, le rincer, peut-être – coup d’oeil vers la porte – le sucer, longtemps, comme on suce son pouce, pour que ça fasse moins mal, un peu, pour que ta salive pénètre la blessure, la nettoie, la soigne, l’apaise. Ta blessure qui ne serait plus qu’un souvenir, qui n’aurait jamais existé.

Alors un jet droit se briserait sur un triangle d’émail entre tes cuisses, encore quelques gouttes et tout serait remis en place, les tissus, le cuir, le regard.

Et ton pas sous tout ce béton, plus régulier que le pas d’avant, plus impératif et plus léger, ton pas dans un refrain débité par un métis tordu sur ses béquilles, les épaules en l’air, les mains accrochées à sa flûte en bois, toute petite, ton pas qui s’évanouirait dans le matin nouveau.

jeudi 20 février 2014

L'immortalité se trouve dans l'attention

- L'immortalité se trouve dans l'attention, la mort dans l'inattention. 

mercredi 19 février 2014

Les priorités se creusent

Toutes les distances se réduisent, portées par le mantra, les priorités se creusent.

mardi 18 février 2014

Une vie au bord du dharma

– Pendant les vingt premières années de ma vie, je ne pense pas au dharma, la parole de Bouddha, je ne sais même pas qu’il existe. Pendant les vingt années suivantes, je le découvre et je me dis qu’il faudrait que je le suive et que je l’applique. Mais, naturellement, je n’en fais rien. Pendant les dix années suivantes, je pense qu’il est trop tard pour moi, que je n’ai plus l’énergie nécessaire pour appliquer le dharma. Je prie pour que je puisse faire mieux dans ma prochaine vie. Voilà la biographie normale d'une personne qui voit sa vie lui échapper.

lundi 17 février 2014

Quelque chose à prouver

Une note, de 2006:

"Il me semble que j’ai encore quelque chose à prouver à ceux à qui j’ai eu quelque chose à prouver. Souvent, je les ai oubliés, mais l’impression d’avoir quelque chose à prouver est restée. Me souvenir de ces personnes pour que je puisse régler mes comptes dans ma tête."

dimanche 16 février 2014

Un jouet pour notre esprit

- Quand notre esprit est agité, il faut lui donner un jouet: notre respiration.

samedi 15 février 2014

Le temps qu'on ne lui offre pas

Une note, de 1999:

"L'écriture dévore principalement le temps qu'on ne lui offre pas."

vendredi 14 février 2014

Les amours que j'ai vécues

Une note, de 2007:

"Toutes les amours que j’ai vécues étaient le signe d’un amour plus grand, qui m’entoure, que je sens près de moi."

jeudi 13 février 2014

Le chef-d'oeuvre d'une vie

Une note, de 2006:

"Je suis de plus en plus convaincu qu’il est plus difficile de savoir vivre que de savoir faire un chef-d’œuvre – mais j’ai l’impression que je tords le bâton dans l’autre sens et que la question n’est pas véritablement bien posée."

mercredi 12 février 2014

Le récit de ce qui est arrivé

Une note, de 2010:

"Écrire pour aider les autres. Je me dis que, d’une certaine manière, j’ai vécu ce que j’ai vécu pour pouvoir l’écrire, pour pouvoir le mettre en texte, que je n’ai pas à chercher beaucoup plus loin la matière qui va me permettre d’arriver au monde et de lui donner un coup de main à ma manière.

Si ce que j’ai vécu représente les opportunités qui m’ont été données pour me comprendre, saisir ces opportunités pour les mettre en texte, c’est partir de ce que je suis et de ce qui m’a été donné pour savoir qui je suis, c’est partir depuis la seule chose dont je puisse partir, c’est me simplifier la vie, c’est simplifier celle de mes lecteurs.

Il me reste encore à ne plus faire écran devant mon vécu, à ne plus faire écran devant ma vie. Il me reste à découvrir comment me retirer du récit de ce qui m’est arrivé, du récit de ce qui est arrivé. Faire le récit de ce qui est arrivé plutôt que celui de ce qui m’est arrivé. Sans doute que commencer par là serait une bonne idée, oui, très certainement. Merci Hugo Mujica."

mardi 11 février 2014

Observe-toi

– Quand tu médites, observe-toi comme penseur. Quand tu écris, observe-toi comme écrivain.

lundi 10 février 2014

Au bout de ce que tu n’es pas

– Il faut aller au bout de ce que tu n’es pas pour comprendre ce que tu es.

dimanche 9 février 2014

Ratschläge sind auch Schläge

– Ratschläge sind auch Schläge, les conseils sont aussi des coups.

samedi 8 février 2014

Luc

Une note, de 2004:

"Il y a plusieurs manières de raconter l’histoire. Quelqu’un a gardé sa basket, je crois, mais même lui, ou elle, ne commence pas à dire que c’est la seule qui reste parce que l’autre a brûlé. Non. En général, on parle plutôt de la soirée entre copains, peut-être d’une fille qu’il a draguée – son sourire immense, ses yeux bleus d’aviateur, sa veste d’aviateur –, ou d’une phrase particulière, une phrase qui pourrait prendre un autre sens, après, ou qui reste, simplement parce qu’il l’avait dite là, à ce moment. On parle de la soirée et de la fin de soirée et de la gare: beaucoup de banalité, le plus de banalité possible, naturellement, même pas pour ménager un effet, juste pour expliquer que ça faisait partie de la vie normale, pour expliquer comme c’était proche, comme ça aurait pu être n’importe qui, toi, moi, vraiment.

L’histoire n’est pas très longue: il n’y a pas de plaisir à la faire durer. On peut revenir, après, sur des détails, apporter des précisions, ne pas dire tout ce qu’on sait – l’histoire de la basket, par exemple –, mais le concours ne se fait pas attendre, le concours dont on dit bien qu’il était stupide, que les concours en général sont stupides, mais que pour des jeunes, après une soirée tellement sympa, et lui qui était si joueur. On ne rectifie pas mais tout le monde a compris : les concours ne sont pas stupide en général mais celui-ci l’était particulièrement, surtout parce qu’il n’avait pas l’air de l’être, encore plus pour ça.

Le premier sur le tank. Et ils courent. Un ralenti sur son visage, son regard en arrière pour voir où en sont les autres, sa grande bouche grande ouverte sur son grand sourire du type qui va gagner, qui sait qu’il va gagner parce qu’il a toujours gagné, qui a toujours autant de plaisir à gagner, grand, mince, sportif, beau, tellement beau. Certainement le bruit du métal sous les semelles, peut-être un cri de victoire, et un coup de fouet, un grésillement qui reste dans l’oreille et qui meurt tranquillement avec les restes de lumière blanche dans les yeux.

Il ne reste qu’une basket parce que l’autre a brûlé, fondu, quand l’arc est passé du câble au tank. Lui, il a mis presque toute la nuit à mourir – tout le monde n’est pas d’accord sur le pourcentage du corps atteint, à quel degré.

Tout à l’heure, le vendeur qui m’a servi au supermarché de nuit, au supermarché de la gare, de la gare, oui, lui a ressemblé. Ce vendeur, qui est aussi mon élève, a regardé le client suivant pendant que je le dévisageais à travers la vitrine: son regard était calme, peut-être de fatigue, serin, détaché, je crois que j’ai ressenti de l’amour pour lui à ce moment, puis de l’affection, puis je me suis rappelé qu’il portait le même nom que le copain du tank.

Il y a des autorisations qui se donnent sans faire exprès."

vendredi 7 février 2014

Au milieu du couloir feutré

La femme avance au milieu du couloir feutré, sous les lumières tamisées, régulières, entre les vitrines qui proposent des montres de luxe, des stylos de luxe, des foulards de luxe, débouche dans un salon cossu.

Deux coups profonds reviennent à intervalle régulier, le premier plus grave que le second, des sons électroniques, percussifs, soufflés, s’activent en arrière-plan, et puis s’affirment, s’affirment encore.

Décidée, elle traverse la pièce – les regards blasés s’accrochent à elle quelques secondes – et se dirige vers une sorte d’alcôve, se penche sur un homme assis dans une bergère devant son portable, un temps, repart.

Les sons électroniques s’évanouissent.

jeudi 6 février 2014

Nos ancêtres et nos vies passées

La ligne de nos ancêtres et celle de nos vies passées serpentent l'une autour de l'autre.

mercredi 5 février 2014

Un monde à construire de mes mains

Maintenant que je n’ai plus de monde à construire de mes mains pour prouver que j’y existe, je peux enfin prendre du temps pour vivre dans celui qui est là.

C’est ici que ça se passe, c’est maintenant. Nouveau mantra.

mardi 4 février 2014

Là, pas les mots du là

– L’important, c’est d’arriver à être là, pas d’exprimer que j’arrive à être là.

lundi 3 février 2014

Parlez à mon oeuvre

– Si vous voulez me parler, parlez à mon œuvre.

dimanche 2 février 2014

Jean

Mon grand-père maternel: voyou: condamné à mort. Mon père, je l’ai pas connu: voyou: mort dans un règlement de compte. Mon oncle Paul dans les paras: déserteur: renier ce pour quoi on s’est engagé, pour moi ça c’était le pire.

Quand j’ai commencé, à 14 ans, je me disais: à moi on va bien me parler, on va me respecter pour ce que je suis parce que je vais faire peur à l’autre monde. Pour moi, c’était clair, j’allais pas faire ouvrier: les chaussures à 2500 balles, ça serait pour bibi! Sous prétexte que vous n’avez pas fait d’études, on vous traite comme des chiens et ça, je voulais pas: la vie est belle avec une arme, ça fait comme un mur entre les autres et vous.

Pour mon premier casse, j’ai volé un pistolet à amorces, un jouet qui ressemblait vachement à un vrai calibre. Après, dans la banlieue sud, on m’a présenté les choses autrement: c’est de là que sont parties les vraies affaires de braqueurs. Pour un coup dans une bijouterie, je me suis déguisé en bourgeois et je suis entré avec une femme juste après la fermeture, comme ça, à visage découvert, en disant qu’on voulait voir la plus grosse pierre. Et puis après, en prison, j’avais plein de gardiens qui s’occupaient de moi dans les quartiers de haute sécurité, des motards quand j’allais au tribunal, des hélicoptères: je me sentais quelqu’un d’important!

J’ai toujours eu deux outils: un calibre et l’écriture. En prison, il faut savoir écrire, tout passe par là: les lettres à l’administration, au juge, à l’avocat, les formules de politesse pour avoir du papier cul, les petits mots pour les filles qui nous aident, tout. L’écriture, pour moi, c’est devenu un moyen de manipulation, mais au sens propre, au sens de prendre en main. J’aime manipuler les gens: attraper l’âme, l’intelligence et le cœur de la personne, c’est un mouvement de survie. La prison n’aide en rien. En prison, c’est la vie qui se passe.

Moi, le cancre, celui qui a quitté l’école à 13 ans, dès que je commence à écrire, immédiatement, j’intéresse. Le travail d’écrivain, en fait, je crois que c’est ce qui ressemble le plus à celui de voyou: on fait des chouettes rencontres, ça en jette. Être romancier, ça donne un statut, mais écrire, faut pas oublier ça, ça va aussi à l’encontre de toute ma vie de voyou: dans le milieu on ne parle pas, celui qui parle est rayé de la liste ou bien mort.

Je suis composé de regrets, je regrette ma jeunesse – j’étais jeune et con et c’était simple! –, je regrette d’avoir changé de vie. La vie était plus facile chez les voyous. La vie chez les honnêtes gens est plus brutale, plus abrupte: il y a un vrai manque de respect, pas de règles, personne ne respecte personne. Dans le milieu, si vous manquez de respect, tout le monde va être contre vous: chaque voyou est respecté pareil que les autres, c’est une obligation.

À présent, j’ai honte de la manière dont je gagne ma vie, je n’aime pas le travail et le travail me fuit. Être écrivain, ça me permet de lever le menton: raconter des histoires, pour moi, c’est facile. Ça me donne une posture et c’est de la prétention, dans le sens de qui prétend à quelque chose. Pour être respecté, on peut donner sa vie: le respect est la chose la plus capitale, c’est ce qui nous fait humains.

samedi 1 février 2014

Les grands textes et les petits

Il y a des jours où il faut se lancer dans de grands textes et d’autres dans de petits.