vendredi 31 mai 2013

Amener l’angoisse depuis les périphéries

Une note, de 2008: 

"L’écriture, un des moyens pour amener l’angoisse depuis les périphéries jusqu’au centre – et lui faire face."

jeudi 30 mai 2013

Quand on chemine, il n’y a qu’un chemin

– Ces choses dont on croyait qu’elles nous dérangeaient font partie de notre chemin. On crée soi-même l’illusion du choix et on souffre de cette illusion: quand on chemine, il n’y a qu’un chemin.

C'est ma confiance que j'érode

Chaque fois que je me plains, que je rejette la faute sur l’autre, c’est un morceau de ma confiance en moi que j’érode, un morceau de ma confiance en la vie.

mardi 28 mai 2013

Mes problèmes de maintenant

Une note, de 2010: 

"Je ne règle donc pas mes problèmes avec les gens de maintenant à la place de les régler avec d’autres, je règle maintenant mes problèmes avec les gens de maintenant."

lundi 27 mai 2013

Tout le monde peut devenir votre maître

– L’important, c’est d’apprendre à s’ouvrir: comme ça, tout le monde peut devenir votre maître. Votre maître, bien sûr, vous pouvez le tester, ça fait partie du jeu, mais ce n’est pas comme ça que vous allez apprendre.

dimanche 26 mai 2013

Tout est à vivre comme une expérience

Ce matin, pendant le petit-déjeuner organisé par le Livre sur les quais, j’ai regardé très attentivement Franz-Olivier Giesbert. Lorsqu’il s’est mis à répondre à ma question au sujet de son dernier bouquin, je me suis concentré non seulement sur ce qu’il disait, mais aussi sur tout ce qui me parvenait de lui en plus de ses mots: I shin den shin, de mon âme à ton âme.

Alors toute la salle Sandoz du Beau-Rivage s’est mise à onduler à l’intérieur de mon regard et j’ai senti que je me trouvais en équilibre au bord de mes perceptions, que j’étais sur le point de saisir une autre organisation du monde, parallèle à celle que me décrivent mes sens.

Après, le long du couloir jusqu’aux toilettes, dans ma tête, en boucle: tout est une expérience, tout est à vivre comme une expérience, une expérience, c’est tout. Et puis, le long du lac, pas après pas, la boucle s’est évaporée sous le beau soleil franc réparti dans l’air lavé par la pluie.

samedi 25 mai 2013

Le paysage perd son visage

Une note, de 1999:

"La nuit, le paysage perd son visage. Chaque ville (ses lumières) en appelle une autre."

vendredi 24 mai 2013

La montagne et moi

D’abord il y a la montagne et moi, et puis il n’y a plus que moi, et puis il n’y a plus que la montagne, et puis il y a la montagne et moi.

jeudi 23 mai 2013

Quelques risques liés au nucléaire civil

Une note, de 2002:

"Un appareil (dont l’apparence est proche de celle des calculatrices de taille respectable dont les marchands non anglophones se servent le plus souvent pour indiquer à leur interlocuteur qui l’est lui moyennement le triple de prix qu’ils espèrent obtenir de l’article convoité: mêmes arrondis grisâtres) permet d’imprimer sur un ruban plastifié des caractères en trois polices et quatre tailles différentes. Il est également possible de jouer sur la couleur du support (il faut soulever le capot du clavier pour introduire une autre cassette): rouge pour les livres et blanc pour les revues, selon les conventions de l’Institut.

Les cotes sont rudimentaires: un chiffre de zéro à neuf, un point, une décimale, un tiret, un autre chiffre allant parfois jusqu’à soixante suivant le sujet traité. L’une des clés de ce travail réside dans le découpage industriel de languettes de scotch (collées par une extrémité sur le bord de la table) qui serviront à maintenir les étiquettes contre le dos des ouvrages dont la reliure toilée souvent grasse a tendance à rejeter systématiquement ces greffes numériques.

Cette activité minutieuse se déroulant dans le coin le plus reculé d’une bibliothèque elle-même pour ainsi dire déserte, elle peut par conséquent être complétée par une autre activité, non moins minutieuse, d’épluchage des écrits numérotés. Les premières photos à retenir l’attention sont, bien entendu, celles des nécroses cutanées engendrées par la manipulation (dans des situations la plupart du temps rocambolesques, plus tragi-comiques les unes que les autres) d’un élément dont la radioactivité avait été négligée, sous-estimée, voire oubliée. Plaques noires, brillantes, ourlées de rouge qui progressent sur le corps de patients dont la mort est indiquée après quelques jours ou quelques semaines.

Ces publications de l’Agence Internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA) en côtoient d’autres, publiées par le même organisme, au sujet des risques liés au nucléaire civil, tout comme des répertoires de normes, de seuils d’alerte et de scénarios d’évacuation et de décontamination." 

mercredi 22 mai 2013

Des ronflements à la fois vulgaires et doux

Une note, de 1999:

"Il faut quelques instants pour s’habituer à la pénombre rouge, pour faire confiance aux impressions de murs, aux impressions de marches, et s’avancer d’un pas plus ou moins décidé sur cette moquette épaisse qui mange tous les sons. Sorte de gros tube digestif illuminé comme à travers des membranes. Une porte est entrouverte: signe distinctif suffisant pour entrer, fermer à clé tout en s’embrassant (haleine de bière) et se diriger vers le matelas d’eau en plastique (un seul drap qui ne protège pas longtemps les dormeurs – ces lits ne sont a priori pas faits pour dormir – de l’aquaplaning généré par leur propre transpiration).

Encore assez d’humour pour s’amuser des miroirs qui recouvrent les murs comme le plafond, de la télévision qui propose au choix trois films pornos et de la radio impossible à éteindre (rapidement moins drôle, cette soupe increvable). Mais l’affaire tourne vite aux voix cassées par l’alcool, aux corps désordonnés et aux pénétrations approximatives (que la version originale des dialogues soit en espagnol ne change pas grand-chose à l’histoire, au contraire). Un peu de jour à travers la dentelle métallique du store baissé, la mélopée de la radio (peut-être parfois des informations) et des ronflements à la fois vulgaires et doux."

mardi 21 mai 2013

Quand vous sentez que la mort arrive

– Quand vous sentez que la mort arrive, qu’elle est juste là: surtout, il faut vous relaxer. Ça serait vraiment trop dommage de vous mettre à paniquer et de passer à côté de cette expérience exceptionnelle qui ne va vous arriver qu’une seule fois dans votre vie! Cette mort, il faut vous préparer à la savourer, du début à la fin!

lundi 20 mai 2013

Tirer mon esprit vers des territoires plus clairs

Je sens la guerre contre mon égo qui se livre en moi, avec des pics de violence comme des haut-le-cœur. Pas question pourtant d’essayer de l’anéantir: il est là, il fait partie de ce que je suis, de ce qui est. Tenir plutôt la bride à mon esprit et le tirer vers des territoires plus clairs dès que je sens qu’il se trouble.

dimanche 19 mai 2013

Julio

Une note, de 2010:

"Hier, rencontre avec Julio, le gardien du parc Giordano Bruno. Belle rencontre, très simple, très improbable: je me suis assis à côté de lui parce que c’était le seul banc de tout le parc où il y avait encore du soleil. Je sentais sa voix grave vibrer dans le banc, j’étais très attentif à ce qu’il disait, pas à ses paroles, à ce qui se passait quand il les disait. J’avais le sentiment de me retrouver en présence de quelqu’un d’important, peut-être pas dans cette vie, pas selon les critères de la société actuelle, mais quelqu’un qui comptait, je ne sais pas bien pourquoi.

Je voyais quelqu’un d’autre derrière celui que j’aurais vu normalement, je ne sais pas très bien qui, mais je suis resté très attentif à cette impression de connexion, de décalage, de vue à travers ce que j’aurais vu normalement. J’ai mieux compris cette figure qu’on retrouve dans certains livres et dans certains films, en général une vieille personne, en général un vagabond, qui ouvre les yeux du protagoniste sur des réalités importantes, en général au sujet de sa propre vie. La plume est le miroir de l’âme, m’a dit Julio. C’est vrai, c’est à ça que je travaille."

samedi 18 mai 2013

Le rapport à la biographie

Une note, de 2007:

"Question récurrente, ces temps, du rapport à la biographie: mieux situer ces déviations dans le récit, ces détails en trop qui le font tendre plus vers l’auteur que vers le narrateur."

vendredi 17 mai 2013

Une coiffure méticuleuse

Une note, de 2004:

"Penchée en avant, sa tête exhibe la crénelure soigneuse de la ligne médiane intermittente qui sépare ses cheveux noirs mi-longs. Son visage confirme la méticulosité de sa coiffure : ses lèvres fines s’entrouvrent à l’appel des arcs inclinés de ses sourcils, son regard est à peine décalé, juste assez pour signifier à son vis-à-vis éventuel que son attention est focalisée dans sa périphérie, que la direction marquée par les pupilles est un leurre grossier qui ne fait que souligner un mépris curieux devenu constitutif à force d’être cultivé.

Elle tapote sur son portable du bout des ongles, comme pour l’encourager à faire entendre sa mélodie acide ou, plus probablement, à se tordre sur la table entre le verre et le cendrier sous les tressaillements de son vibreur. Visiblement peu efficace. Elle empoigne par dépit un journal qu’elle feuillette à l’envers, plus préoccupée par la souplesse et la régularité du mouvement des pages que par leur contenu, véritable chorégraphie de papier portée par le vibrato délicat des feuillets froissés. Exit journal, nouveau journal, bye bye journal : cymbale sèche du briquet en introduction à la seconde variation du clapotis d’ongles sur portable. Quelques bouffées molles, à peine audibles.

Ses orteils allongés se recourbent alternativement, seule partie visible de ce corps en mouvement. C’est maintenant au tour du profil d’être exposé par le jeu d’une nouvelle contenance qui consiste à fixer la porte du bistrot, au cas, sans doute, où la vibration du portable choisirait de se matérialiser sous la forme d’un jeune homme si possible avenant. Pas beaucoup plus efficace et surtout moins tenable. Il ne reste à la jeune fille qu’à se lever, glisser subrepticement son téléphone dans son sac à la mode et à fondre en douceur sur ladite porte pour disparaître en ne laissant derrière elle que quelques mégots et des traces de salive sur une paille verte, traces qu’un autre se serait empressé de goûter."

jeudi 16 mai 2013

Apprendre à apprendre

Une note, de 2010:

"Voir tout ce qui m’arrive comme des petits signes de l’univers, des petits signes que je suis capable de voir ou pas, auxquels je peux être attentif ou pas, mais qui me sont faits à moi, qui sont là pour que je puisse les recevoir, même si je n’en suis pas capable, pas encore.

Je suis là pour apprendre de l’univers et, pour apprendre, il faut d’abord apprendre à apprendre."

mercredi 15 mai 2013

Suivi des doses en fluoroscopie

Une note, de 2002:

"Les feuilles de quatre couleurs (suivant la salle d’examen: cadmium, fuchsia, saumon, ciel délavé) sont intitulées Suivi des doses en fluoroscopie; huit étiquettes se font face, deux par deux, sur des cases prévues à cet effet (parfois, les indications sont griffonnées dans les rectangles vides): les patients synthétisés (nom, prénom, âge – codé: ans, mois, jours, d’une seule traite; il faut apprendre à lire à l’envers – , abréviation du service, nom de l’intervention, sa date et son numéro) en vis-à-vis de leurs scores d’irradiation (quantité globale source A, temps source A, pareil pour B, total des sources).

Les cas auscultés dans la salle cadmium et dans la salle fuchsia le sont pour des problèmes cardiaques (la première se distingue de la seconde par un nombre important de patients de zéro an – selon le tableur dans lequel ces données sont entrées – : probablement des malformations). Ceux des salles saumon et ciel, sont inspectés sous des coutures plus diverses, de la tête aux pieds, littéralement, pour faire court. La pile citron, suivie de près la fuchsia, est la plus haute, les deux autres font plutôt pâle figure (leurs teints pastels soulignent leur aspect famélique).

Ce cortège de nombres et d’abréviations gît sur ce bureau pour subir un traitement à la fois indolore et bénin: les piles passeront d’un côté de l’ordinateur à l’autre saupoudrant au passage de leurs informations confidentielles un disque dur à la discrétion de pierre tombale. Plus que les noms ou les prénoms, ce sont souvent les âges qui détournent l’attention. Peut-être à cause de la lecture inversée."

mardi 14 mai 2013

Echappement libre

Au début, j’étais un peu déçu. Je pensais que ça allait péter dans tous les coins et puis non, la grosse scène de baston, elle venait pas: juste quelques bouts de braquage par-ci par-là pour me donner l’eau à la bouche. Il y avait bien quelques pages au Tchad, des scènes de cul bandantes comme il faut, mais c’était pas ça que j’étais venu chercher.

Petit à petit, j’ai compris que c’était autre chose que Jean voulait me raconter avec son bouquin. Il me montrait comment on devient un voyou, comment on pense quand on est un voyou, à quoi ça ressemble, le monde, avec ces yeux-là. Pas de morale, non, du tout, plutôt un truc genre démonstration mathématique: cette impression de l’histoire qui s’écrit toute seule, ça faisait un bail que ça m’était pas venu.

Alors, quand j’ai fait le deuil des bastons, je me suis retrouvé avec Dominique tout contre moi, sans mots entre nous parce que les mots se démerdaient très bien pour pas se laisser voir. J’ai mis mes bras jusqu’au coude au fond de l’eau grise de l’évier du Victor Hugo et j’ai vu passer de l’autre côté du bar les truands et les putes sur le retour. J’ai senti le poids du sac de pétoires planqué à la cave entre deux bracos et j’ai eu envie de me taper Andrée, la patronne avec ses grosses mains solides.

Ce bouiboui graisseux entre les abattoirs, ça m’a rappelé quand j'étais gosse à Paris dans les années 60 et puis aussi mon premier casse, un tout petit: c’était la poste d’un bled qui s’appelle Maulers. On était trois: Damien, le Chinois et moi. Je m’étais pas couvert le visage et j’étais entré en premier. Je suis toujours entré en premier dans tous mes casses, toujours avec ma tronche à l’air: faire face, chez moi, c’est une habitude. C’est ça qui a fait que je me suis pas pendu avec mon drap pendant toutes ces années où j’ai appris à écrire comme je pense, après, en taule.

lundi 13 mai 2013

Les lieux et les gens vivent en moi

Une note, de 2007: 

"Les lieux que j’aime, les gens que j’aime, vivent en moi. Que je les écrive ou pas."

dimanche 12 mai 2013

La dernière visite de Jaccottet à Roud

Une note, de 2007:

"De nouveau des mauvaises nouvelles de Zurich par un mail de maman. Papa va de nouveau mal, mais il est optimiste. Je pense à la dernière visite de Jaccottet à Roud."

samedi 11 mai 2013

C’est pas grave, je te dis

Si je pleure, c’est pas grave: pas besoin de faire cette tête! C’est juste que je suis triste de m’en aller et que cette musique qu’on écoute, là, c’est Astor Piazzolla qui a eu l’idée de l’écrire. Astor Piazzolla, c’est un grand musicien argentin et c’est sa musique qui nous a fait venir ici, maman et moi. C’est un peu grâce à lui que tu es née à Buenos Aires, tu sais. Allez, encore un peu de riz? C’est pas grave, je te dis.

vendredi 10 mai 2013

Cas rare de bon sens militaire

Une note, de 2004:

"C’est d’abord son aspect massif qui impressionne: gros bloc au toit peu pentu qui dépasse des sapins, nombreuses fenêtres étonnamment petites (sans doute une arme contre le gel) qui quadrillent des façades longues, aux lignes catégoriques; le tout assis dans le roc, sur un versant de la vallée qui s’élargit à cet endroit, loin des couloirs d’avalanche.

Ses derniers occupants étaient des militaires (comme les chanoines se font rares, il fallait bien trouver un moyen d’entretenir la bâtisse), mais, suite aux modifications des stratégies de défense territoriale, les volets avaient été tirés, plus ou moins cadenassés, les quelques portes fermées à double tour et les clés posées sur les linteaux (ou glissées sous une grosse pierre ou derrière un moellon descellé, quelque chose dans le genre), au cas où des visiteurs tardifs se perdraient dans la région.

Mais non, bien sûr que non: simplement parce que personne – strictement personne – n’aurait pu savoir, après ne serait-ce que quelques mois, où ces clés avaient bien pu passer. La seule chance de les retrouver en cas de besoin était donc de les laisser près des portes: cas rare de bon sens militaire."

jeudi 9 mai 2013

On parlait de tout sauf de bouddhisme

– Avec mon maître, on parlait de tout sauf de bouddhisme et, quand arrivait un examen, j'avais envie de m'arracher la tête parce que je savais je n'arriverais jamais à tout apprendre... Mais, finalement, je crois que j'ai eu de la chance de ne pas tomber sur un maître qui m'apprenne quelque chose auquel j'aurais pu me raccrocher en pensant que c'était ça qui était réellement important.

mercredi 8 mai 2013

La différence entre croire et ne pas douter

– La différence entre croire et ne pas douter, c’est qu’on peut cesser de croire: une fois qu’on a enlevé tous les doutes, il n’y a plus rien qu’on puisse perdre.

mardi 7 mai 2013

Terminer ce qui a été commencé

Une note, de 2010:

"J’ai de la peine à me dire que mes projets de livres ne vont peut-être pas se faire. Je reste accroché à ce que je me sens perdre et pas à ce que je me sens gagner, comme si l’important, à la fin, n’était pas d’écrire un texte qui en vaille véritablement la peine, mais de terminer ce qui a été commencé, comme ces livres que je traine avec moi sous le seul prétexte que j’ai commencé à les lire – en ce moment, Dantec –, comme si la vie était assez longue pour me permettre de prendre le temps de lire ces livres qui ne m’apportent pas vraiment tout ce qu’ils pourraient.

Pourquoi est-ce que je devrais terminer ces projets sous prétexte que je les ai commencés? Je crois que c’est surtout parce que je m’accroche à l’image que j’avais de ce que j’avais envie qu’ils deviennent: ce que j’ai de la peine à lâcher, c’est le livre idéal tel que je le projetais dans ma tête, pas le projet tel qu’il est dans sa forme actuelle."

lundi 6 mai 2013

Le patron de Grasset

– C’est vrai, il faut quand même que je te raconte! En fait c’est une amie commune et qui nous a invités à manger. Il était en vacances à Punta del Este parce qu’il a une copine argentine: elle était assise entre nous.

– Ah, ces hasards de la vie...

– Au début, bien sûr, on a parlé comme on pouvait en anglais. Je me disais bien qu’il avait un accent un peu bizarre, mais quand j’ai compris qu’il était français, moi, avec toutes mes années comme traducteur à Paris pour l’UNESCO, j’ai continué dans sa langue... Il m’a dit qu’il s’appelait Jean-Paul Enthoven et qu’il venait de terminer une biographie de Proust – aujourd’hui, aujourd’hui même! –, un gros truc de 700 pages, et qu’il allait la publier dans sa maison. J’ai hésité à lui demander comment il savait qu’il avait fini – parce que moi, je sais jamais quand j’ai fini... –, mais, finalement, je lui ai plutôt demandé comment elle s’appelait, sa maison. C’est là qu’il m’a dit que c’était...

– Grasset!

– Oui, tout à fait. C’était le patron de Grasset! Alors tu penses bien que je lui ai tout de suite parlé de ta traduction! Et lui, sans hésiter: il faut que je lise ça!

– Merci pour le coup de pub!

– Tu sais, ça nous sert à tous les deux et puis, après, tu pourras peut-être placer tes romans... Je sais plus si je t’avais déjà dit, mais ils ont déjà été tout plein à essayer de filmer un Jour parfait, même une fois avec Donald Shuterland dans le rôle-titre. À chaque fois, ils me versaient les droits, mais pour finir, ça se faisait pas...

– Alors, qui sait, si ça passe par la France... Et puis, une idée qui me vient comme ça: tu sais, le Livre sur les quais, le salon des auteurs dont je m’occupe de la com, si la traduction sort, ils pourraient peut-être t’inviter... Mais bon, ça, c’est des plans sur la comète...

– En attendant, merci pour ton aide et puis, ce livre, il va bien finir par sortir quelque part! On croise les doigts!

dimanche 5 mai 2013

Une bouteille de Schweppes

– Tu vois, Lucie, ça, c’est un cadeau de grand-papa Walter. Tu l’as pas connu, mais je suis sûr qu’il pense bien à toi depuis là-haut.

– Moi, je crois que je sais ce que c’est...

– Attends, je te donne un petit coup de main: voilà! Chaque fois que mon papa – ton grand-papa, c’est mon papa à moi –, chaque fois que ton grand-papa trouvait une pièce de 5 centimes dans son porte-monnaie, il la mettait dans une petite bouteille de Schweppes comme celle-là et puis, la bouteille, il me la donnait à mon anniversaire. Comme ça, il me montrait qu'il pensait à moi tout le temps!

– Mais non: ça se mange pas!

– Alors: joyeux anniversaire, petite Lucie! 

samedi 4 mai 2013

Un petit pain au lait

Comme il nous fallait du pain pour l’anniversaire de Lucie, on est passé au tearoom de la Gottaz. C’était moins une: la gentille serveuse était en train de mettre les chaises sur les tables.

– Un pain multicéréales s’il vous plait, enfin non: deux.

– Ça sera tout?

– Et puis... un pain au chocolat. Non: deux. Non: un. On va se le partager... Vous vous souvenez, j’étais venu travailler l’été passé pour préparer une des tables rondes du Livre sur les quais.

– Ah oui, tout à fait: vous vous étiez mis dans ce coin là-bas.

– Et bien, maintenant, on est revenus d’Argentine pour de bon et puis notre petite Lucie, elle a un an aujourd’hui!

– Ah oui? Alors tenez: un petit pain au lait pour elle. Et puis aussi un deuxième pain au chocolat pour vous: comme ça chacun a son cadeau!

En sortant du tearoom, j’ai fondu en larmes.

– T’es ému là: tu penses à quoi?

– À cette autre boulangère de l’autre côté du monde qui donnait aussi des petits pains à Lucie...

Le monde me retourne ma violence

Une note, de 2009: 

"Quand la violence monte en moi, le monde me retourne cette violence: je prends la tasse à la piscine, une dalle mal scellée m’éclabousse jusqu’au haut de la cuisse quand je pose mon pied décidé sur elle."

jeudi 2 mai 2013

Ce qui se passe dans la réalité

– La vie, ce n’est pas seulement les choses qui se passent dans la réalité, il y a aussi tout ce qui se passe dans l’imagination, ce qui pourrait s’être passé, la vie alternative qui accompagne notre vie réelle.

– C’est tout à fait vrai. Mais j’ai chaque fois plus l’impression que cette manière de voir les choses tend à diluer le goût de la "vie réelle" en question... Et, en passant, je te confirme qu’on est bien arrivés dans notre nouveau chez nous! Becs!

– Quel bonheur! J’aime penser à la possibilité d’aller au-delà de ce qui arrive, j’aime cette idée de diluer, c’est comme préparer un jus délicieux.

– C’est qu’il n’y a pas d’au-delà – du moins, je ne le crois pas – et que la fameuse "fiction" que les écrivains aiment tellement m’a de plus en plus l’air d’être non pas, comme je l’ai très longtemps cru, une manière de vivre plus, mais, d’une certaine façon, de vivre moins, comme à côté de la vie qu’il nous revient de vivre cette fois-ci. Mais bon, créer des fictions, ça peut aussi faire partie de "ce qu’il nous revient de vivre"...

– Je vais continuer à penser à ça. Ça me semble bien, sauf que je crois pas que je puisse tout à fait l’appliquer, parce que moi, dans mon imagination, j’écoute de la musique pendant que les balles pleuvent sur ma tête. Ouaip! Tu vas beaucoup me manquer.

– Moi aussi, je vais continuer à penser à ça et, toi aussi, tu vas me manquer!

mercredi 1 mai 2013

Un bagage supplémentaire

– Là, je crois qu’on a un problème. Tout à l’heure au check-in, ta collègue m’a dit que ça nous ferait 240 dollars pour notre sixième valise et quand j’ai appelé Lufthansa ce matin, exprès pour vérifier, ils m’ont parlé de 200... On fait quoi?

– Écoute, je comprends, mais les gars du help desk sont pas toujours au courant et puis, ces 20% en plus, c’est une taxe de l’état...

– Bon, ok, c’est une stratégie de vente. Voilà 300 dol.

– Mais... On peut pas accepter des dollars: c’est soit en pesos, soit par carte de crédit, n’importe quelle carte de crédit. Ça nous ferait donc 1234 pesos. Tu résides en Argentine?

– Non, du tout, et puis tu crois que je me balade avec tout ce fric sur moi pour prendre l’avion?

– Carte de crédit?

– D’accord. On va essayer avec celle-là.

– Est-ce que je pourrais te demander ton pin?

– C’est que ma Visa, j’ai pas l’habitude de l’utiliser avec un code. Celui-là?

– Non.

– Celui-ci?

– Non plus.

– Carte de débit.

– Si tu veux.

– Maestro?

– Non, justement on travaille pas avec Maestro...

– Alors, moi, là, je fais comment? Je vais au bancomat du coin?

– Si tu veux...

Heureusement qu’on a notre comité de départ, qu’il reste des pesos à Celia et qu’Adolfo est d’accord de nous changer 100 dollars au cours du blue actuel, c’est-à-dire à 9 au lieu de l’officiel à 5.5... Je retourne dans le petit bureau de Lufthansa au fond du couloir.

– Heureusement que j’ai des amis sympas qui ont été d’accord de me faire du change...

– Ouais, désolé. Mais, tu vois, il faut me comprendre: c’est des décisions qui viennent d’en haut et nous, là, c’est à nous d’assumer et d’en prendre plein la gueule...

– Pas de problème: je commence à savoir comment ça marche par ici. J’imagine que tu dois souvent avoir des clients qui râlent... Allez, bonne fin de journée!

– Bon voyage!