dimanche 30 septembre 2012

A l'extrême sud des Caraïbes

Pour son premier voyage en métro, Lucie – tout endormie, pendue à mon ventre dans le sac bricolé par Janice – a eu la chance de prendre la place offerte généreusement par ni plus ni moins que Jack Sparrow.

– C'est très chevaleresque de votre part, merci!

– Mais c’est tout naturel!

Le rimmel épais autour des yeux, la barbiche, les bagues (en plastique), les pistolets (en bois), tout y était.

Après un trajet riche en grincements – Lucie ouvrait un oeil, des fois deux, mais a continué stoïquement sa sieste –, je me suis retrouvé à côté de l'illustre pirate dans l'escalator d'Acoyte.

– Très réussi, le costume! Tu vas au cinoche?

– Non, je fais de l'animation d'anniversaire.

– Peut-être que pour les quinze ans de la petite...

– Pas de problème: tu entres sur Facebook et tu mets piratashow.

samedi 29 septembre 2012

Une sorte de produit second

Une note, de 2009:

"L’écriture comme une sorte de religion, qui n’a rien d’autre à produire qu’une sorte de rapport au monde. Le livre serait une sorte de produit second."

vendredi 28 septembre 2012

Une assemblée matinale

Première surprise à peine touché le tarmac argentin: les employés au sol sont en pleine "assemblée". En d'autres termes, ils pourraient bien faire grève, ils se tâtent, ça peut durer entre dix minutes et quelques heures. Finalement, une gentille hôtesse de terre nous dit qu'ils se sont remis à bosser, lentement, mais remis à bosser quand même. Au pire, pour autant qu'ils ne changent pas d'avis, on risque un retard dans la livraison des bagages.

L'employé du service d'immigration met un moment à comprendre que nos résidences précaires sont échues depuis deux semaines. Est-ce qu'on vit en Argentine?

– Euh... oui. Mais, tu sais, nos résidences permanentes sont déjà arrivées chez nous, les amis qui gardent notre appart nous l'ont confirmé, si si, je t'assure!

– Désolé, faut que j'aille voir mon superviseur.

Le type, au demeurant très sympathique, sort de son box en verre, passe devant la rangée de guichets et prend tout, mais alors vraiment tout son temps avant de revenir avec une mine raisonnablement souriante.

– C'est bon, j'ai vérifié, vos DNI ont bien été émis et j'ai les nouveaux numéros. Heureusement, parce que sans ça, vous comprenez, le système, il m'aurait pas laissé continuer.

Le fonctionnaire sort un petit stylo de sa trousse, trace méthodiquement le stempel qu'il avait fait dans mon passeport avant sa visite à son chef et en fait un nouveau juste au-dessous. On peut maintenant passer aux empreintes digitales et aux photos.

– T'as vu ta gueule? T'as vraiment l'air crevé.

– Et toi, t'as vu la tienne?

– T'es sûr qu'elle vient de Suisse, ta femme? Moi, vu les yeux, je dirais plutôt de Chine... Lucie, c'est encore celle qui a l'air la plus réveillée!

Une fois arrivé au tapis roulant, les funestes prédictions de l'hôtesse de terre se vérifient: tous les containers ont été livrés sauf, bien entendu, celui avec nos bagages: le ton commence à monter entre les employés et un groupe d'Argentins qui ne doivent pas être à leur première assemblée et qui savent d'expérience que ça peut assez facilement s'éterniser.

Heureusement, les divinités syndicales sont avec nous: le tapis se peuple de nouvelles valises dont les nôtres: la noire, là-bas, l'autre noire, le sac noir, l'autre sac noir, le sac rouge, mais... Il est ouvert! Qu'est-ce qu'il y avait dedans, déjà, à part le lit de Lucie? Des petits habits pile-poil pour sa taille et quelques bonnes choses offertes par Dellon, bonnes choses qui, nous devons nous rendre à l'évidence, ont certainement dû égayer un brin cette frisquette assemblée matinale de fin d'hiver austral.

jeudi 27 septembre 2012

Une vie qui se passe

– Une vie qui se passe comme on veut a beaucoup de valeur, une vie qui ne se passe pas comme on veut est riche en enseignements.

mercredi 26 septembre 2012

Ce contact toujours déjà là

Une note, de 2010:

"En continuant ma lecture du Tolle, je suis presque au bout, j'en arrive à la question de la relation amoureuse, de ce besoin de complétude, de cette impression que je peux trouver cette complétude en l'autre, que je peux focaliser toutes mes recherches sur l'autre, tous mes doutes, mes manques, mes envies, sur cet unique point représenté par l'autre, alors que, bien sûr, la réponse n'est pas à chercher à l'extérieur, dans un autre ou un autre autre – une autre ou une autre autre –, mais est à chercher en moi, à travers la redécouverte de ce contact qui était toujours déjà là, au fond de moi. Le but n'est pas de m'unir à l'autre pour perpétuer l'espèce, mais de prendre conscience de cette unité interne qui va me permettre de ne pas renaître."

lundi 24 septembre 2012

Dans une autre vie

Tu vois, Lucie, dans le lac, c'est des petits poissons. Il y a aussi des canards, là-bas, vers les roseaux, et le soleil qui se lève.

Dans une autre vie, je me demande qui tu étais pour moi: ma maman, mon papa, mon chat... Et puis, dans la prochaine, je demande bien qui je serai pour toi.

dimanche 23 septembre 2012

Les lumières de Fontaine

Colette a décidé de mettre un peu d'ambiance à Fontaine: elle a pendu des ampoules de couleur autour du grand tilleul au milieu du préau et elle s'est mise au synthé pendant que Claude-Alain servait les brochettes, les bières et les rissoles.

Lucie, incapable de s'endormir, est restée toute la soirée à fixer les ampoules bleues, les ampoules rouges, les ampoules jaunes en faisant ces petits ohhh! d'émerveillement qui nous tirent à tous les coups une petite larme.

samedi 22 septembre 2012

Cinq heures

Une note, de 2010:

"Écrire "cinq heures", quelques lignes plus haut, me fait entrer dans un univers totalement littéraire, je ne sais pas exactement pourquoi – même si j'ai l'intuition que ça a à voir avec les chiffres en toutes lettres. C'est drôle comme il me suffit parfois de peu de chose pour passer dans le monde des mots."

vendredi 21 septembre 2012

De Montreux à Buenos Aires

Une note, de 2009:

"Hier soir, en sortant du Furaibo, je me suis laissé porter. Je pensais prendre Florida, mais j'ai continué sur la Diagonal Norte jusqu'à l'Obélisque qui me faisait de l'oeil, j'ai continué sur la 9 de Julio et je ne suis entré ni dans le premier ni dans le deuxième McDo, mais dans le troisième après avoir tourné sur Lavalle parce que ça me disait. Juste après avoir jeté mon sac en papier, je croise un mec qui me reconnaît: on se retourne, je lui fais "Hola" et lui me répond "Salut". C'était Ariel, un type avec qui j'avais bossé au Festival de Jazz de Montreux. Du coup, on va boire un pot avec des potes à lui sous les fenêtres de Sabrina Farji."

jeudi 20 septembre 2012

Main droite, main gauche

– Main droite: joie. Main gauche: tristesse. Si on unit nos mains: remerciement. Joie pour ce qui s'est bien passé, tristesse pour ce qui s'est mal passé, union et remerciement parce que tout ça constitue ma vie.

mercredi 19 septembre 2012

Sur le quai de Morges

Mais oui, c'est bien elle, en train de sortir de l'ombre du passage sous-voie, de monter tranquillement vers ce quai de la gare de Morges où j'attends mon Régional Express pour Lausanne, elle qui me fait un sourire d'abord hésitant et puis un vrai sourire: la Caudélia du Bergstamm!

Comme on a deux minutes – elle prend un autre train, juste après, pour Yverdon –, je lui résume les dernières années en trois phrases: toujours Buenos Aires, toujours les cours à l'UNIL, Lucie, quatre mois et demi, grande comme ça. Caudélia fait son résumé à elle pendant que mon train entre en gare et moi, je lui dis que j'ai justement dans mon sac orange deux exemplaires du manuscrit de mon dernier roman que je vais – quelle coïncidence! – envoyer à un concours en Suisse vu que les lettres de refus de France s'accumulent, roman qui raconte l'histoire de Dieu qu'on appelait Dieu parce que c'était le seul écrivain suisse à avoir eu le Goncourt...

– Mais c'est pour ça que ça les intéresse pas, en France!

– L'histoire de Dieu et de Caudélia qui choisit de le quitter pour sortir avec Walter Bergstamm: tu me donnes ton mail?

– Euh... oui... T'as un stylo? Bien sûr que t'as un stylo: un écrivain, ça a toujours un stylo! S'il te plaît, le train, tu attends! Voilà. T'es là encore longtemps?

– Jusqu'à mardi, ça va faire un peu juste pour se croiser...

– En effet...

– Alors: à bientôt!

– Oui, c'est ça, à bientôt! Embrasse bien tes femmes de ma part! Et... Bonne chance pour ton roman!

mardi 18 septembre 2012

Cet espace qui me faisait de la place

Une note, de 2010:

"Cet espace devant la maison de Rubén qui était tous les espaces, qui était toutes les banlieues sans forme, tous les paysages sans relief, tous les lieux de passage. Cet espace qui ne m'appelait pas par ce qu'il me montrait, mais qui m'appelait par sa présence, qui m'appelait par ma présence à lui. Cet espace qui me renvoyait en moi parce qu'il ne me proposait rien, parce qu'il m'obligeait à faire tout l'effort pour m'ouvrir à lui, cet espace qui me faisait de la place."

lundi 17 septembre 2012

Comme un calendrier de l'avent

Cet après-midi, en essayant d'expliquer à Christian ce que j'avais compris de l'idée de connaissance pour le bouddhisme, c'est l'image du calendrier de l'avent qui m'est venue: comme nous avons l'entier de l'univers en nous, chaque rencontre, chaque expérience ouvre une petite fenêtre sur ce que nous savons déjà sans savoir que nous le savons.

Du coup, le "je ne peux voir que ce que je suis" évolue vers un "je ne peux voir que ces parties de moi que j'ai déjà découvertes": l'autre, pour moi, se résume à ma collection de fenêtres ouvertes.

dimanche 16 septembre 2012

On ne peut plus écrire comme Balzac

– Évidemment, on ne peut plus écrire comme Balzac aujourd'hui!

– Ah non?

Surpris, l'auteur met un petit moment à se reprendre et puis enchaîne:

– Non, parce qu'à l'époque de Balzac, le cinéma n'existait pas, internet non plus, et que...

Etc, etc.

samedi 15 septembre 2012

Tout ce qui est humainement possible

– Notre capacité d'action est très limitée, alors il faut profiter de faire le peu qui est à notre portée!

En écoutant Okamoto Sensei parler de son engagement contre la guerre et contre les centrales nucléaires, je me suis rendu compte à quel point j'étais allé trop loin dans l'acceptation, à quel point j'avais oublié l'action.

Gustavo a pourtant toujours été clair sur ce point:

– Faites tout ce qui est humainement possible pour changer ce qui peut être changé, acceptez ce qui ne peut définitivement pas l'être. 

Dans mon enthousiasme de néophyte, je dois dire que j'avais un peu laissé de côté la première partie.

vendredi 14 septembre 2012

Ne pas entretenir la douleur

Une note, de 2009:

"Ne pas nier la douleur, mais ne pas l’entretenir."

Me séparer des gens

Une note, de 2010:

"Me séparer des gens, me séparer de ces parties de moi que représentent ses gens, peut m'aider à voir plus clair, mais ne fait pas changer les choses, vu que si les choses ne sont pas réglées, ces parties de moi vont revenir sous d'autres visages. Donc, être très attentif à ce que je fais, très attentif à ce que je laisse ou à ce que je crois laisser."

jeudi 13 septembre 2012

La glace et l'eau

– La glace peut blesser, l'eau est une source de vie. On ne peut pas vivre en dehors des désirs et des passions, mais mieux vaut qu'elles soient de l'eau que de la glace. Transformer les passions qui gênent en un trésor.

mercredi 12 septembre 2012

La rencontre de mes parents

Une note, de 2010:

"Je pense à la rencontre de mes parents, à la rencontre qui a rendu possible ma naissance. Je pense à ce qui a été nécessaire pour que ma naissance soit possible. J'essaie de m'imaginer en train de choisir ce couple-là au moment j'ai pris la décision de naître là, à ce moment-là, de ces parents-là."

lundi 10 septembre 2012

Deux pesos entre deux pêches

Une note, de 2009:

"Je viens de poser deux pesos entre deux pêches qui étaient déjà là, à côté de la tête d’un type qui dormait dans la rue. J’ai eu peur qu’il se réveille et qu’il m’agresse en croyant que je lui voulais du mal. Je crois que j’ai bien senti ce qui se passait en lui, c’est-à-dire en moi."

dimanche 9 septembre 2012

Il n'y a qu'un chemin

– Ces choses dont on croyait qu'elles nous dérangeaient font partie de notre chemin, on crée soi-même l'illusion du choix et on souffre de cette illusion: quand on chemine, il n'y a qu'un chemin.

samedi 8 septembre 2012

Parler de l'autre

Une note, de 2009:

"Toujours avoir à l’esprit que je parle de moi quand je parle de l’autre, que l’autre parle de lui en parlant de moi et que je parle de moi en parlant de l’autre qui parle de lui en parlant de moi."

vendredi 7 septembre 2012

L'homme, son fils et leur âne

Un fils demande à son père le secret pour être heureux.

– Viens avec moi au village.

Ils partent avec leur âne, le fils assis sur son dos. Les commentaires ne se font pas attendre au sujet de ce fils ingrat qui laisse marcher son vieux père.

– Tu as entendu? Viens, on rentre.

Le lendemain, ils retournent au village, mais, cette fois, c'est le père qui est sur l'âne, ce mauvais père qui ne sait pas montrer l'exemple à son fils.

– Tu as entendu? Viens, on rentre.

Nouvelle journée, nouveau tour au village, mais cette fois-ci, ces deux monstres sont tous les deux assis sur le dos de leur pauvre âne.

– Tu as entendu? Viens, on rentre.

Le lendemain, le père et le fils portent eux-mêmes leurs fardeaux en marchant à côté de l'âne: pauvres gens qui n'ont vraiment rien compris à rien...

– Tu as entendu tout ce que les gens ont dit ces derniers jours?

– Oui.

– Tout le monde aura toujours son commentaire, alors, fais ce que tu estimes juste sans t'en préoccuper une seule seconde. Voilà le secret du bonheur.

jeudi 6 septembre 2012

L'arrangement des mots

Une note, de 2010:

"L'impression que quelque chose est en train de s'inverser ou, peut-être de s'équilibrer. Je crois que j'ai longtemps cru que c'était l'arrangement juste des mots qui allait m'apporter le savoir, la compréhension. Je crois de plus en plus que c'est aussi la compréhension qui permet l'arrangement juste des mots, que la solution ne vient ni du langage, ni du moment, ni de ce que je cherche à dire, ni seulement de l'un, ni seulement de l'autre, mais à cent pour cent de chacun d'eux à la fois, comme le maître, le groupe et l'enseignement. Le savoir, la présence, les mots. Le vécu, le moment, les mots. Ce genre de choses."

mercredi 5 septembre 2012

C'est pour changer

Pendant que j'expliquais à Madeleine les b-a-ba de l'utilisation de la carte Galaxy pour acheter son ticket de métro, une des Roms du centre-ville s'approche des automates avec une poignée de pièces de deux francs étalées dans sa main ouverte:

– C'est pour changer, c'est pour changer!

Je lui tends une pièce de cinq et elle:

– Encore, c'est pour manger!

Elle agrippe ma deuxième pièce de cinq et son autre main, celle avec les pièces de deux en éventail, se referme d'un coup: je ne vais pas revoir un centime, c'était à prévoir.

Madeleine part au quart de tour:

– Mais, elle vient de te piquer dix balles! Madame, vous...

– T'inquiète pas, je la connais...

Dans le métro, je pense d'abord à Gustavo – "Donnez toujours un peu plus que ce que vous voudriez" – et puis à cette main qui s'est refermée d'un coup, cette main que j'aurais, tout compte fait, volontiers mordue jusqu'au sang, comme ça, pour voir.

mardi 4 septembre 2012

Milonga lémanique

Deux ans de mariage, quatre mois de Lucie, un éditeur intéressé par le Bergstamm: une journée pareille pouvait difficilement se terminer autrement que par un tango baigné de l'orange pastel des lampadaires municipaux, joue contre joue dans la douce moiteur du Léman juste avant l'orage.

– Tu entends, ça doit venir de derrière les bateaux!

On presse le pas le long des quais d'Ouchy, on traverse la place de la Navigation, on case vite fait la poussette de Lucie en arrière des haut-parleurs, à côté d'une voiture au bord de la grande fontaine et on va poser nos sacs avec tous les autres, au milieu du cercle des danseurs.

Vers la fin de notre premier tango, Isabelle nous fait un grand sourire:

– Comment ça va les amoureux?

Et, quelques tours de piste plus tard – quelle chaleur, quelle moiteur, on se croirait en plein janvier sur une place de San Telmo –, elle lâche à regret son cavalier pour aller faire un coucou à Lucie qui dort toujours à poings fermés:

– Alors, bon voyage et à l'année prochaine! Ah, mes chers petits Argentins! Vous, il me semble que je vous croise toujours par hasard!

lundi 3 septembre 2012

Les quatre souffrances primaires

– On va commencer par une petite récapitulation pour que les nouveaux sachent un peu mieux dans quoi ils se sont embarqués.

– Ah ah ah!

– Je vois que les anciens rigolent: c'est normal, ils ont tout compris, à se demander pourquoi ils reviennent... Axiome numéro un du bouddhisme? Mademoiselle?

– Euh... La vie est souffrance!

– Très bien! C'est pas moi qui l'ai dit, c'est Bouddha, et, pour être précis, il disait même que tout est souffrance: s'il y a une seule chose qui devrait vous rester quand vous sortirez de cette pièce, c'est ça. À partir de là, il distingue quatre souffrances de base, quatre souffrances primaires. Monsieur?

– Euh, naître, grandir...

– Vieillir, oui.

– Tomber malade et... mourir!

– Vous, Madame, qu'est-ce que vous en dites? Naître, c'est une souffrance?

– C'est que... Je me rappelle plus bien.

– Ah oui, bien sûr, bien sûr... Le problème, c'est qu'on ne naît jamais où on veut et quand on veut...

– Mais on ne choisit pas de naître où on veut...

– Ah non, vous croyez? Et pour vous, Mademoiselle, tomber malade, c'est une souffrance?

– Oui, en général, c'est pas très agréable...

– Si vous avez justement un examen à passer le lendemain et que vous n'êtes pas prête?

– C'est vrai, dans ce cas-là...

– Et vieillir?

– Ça dépend...

– Et mourir?

– C'est que je suis pas encore passée par cette expérience...

– Ah non?

– Non.

– Bon. D'accord. Donc, quatre souffrances primaires, auxquelles s'ajoutent quatre souffrances secondaires. Monsieur? On vous écoute! 

dimanche 2 septembre 2012

Un petit signe de l'univers

Une note, de 2010:

"Je pense à cette très belle fille qu'on a croisée presque devant chez nous en allant au théâtre, cette belle fille dont je me suis dit sur le moment qu'elle était là pour que je la voie et que j'aie envie d'elle et que j'aie honte d'avoir envie d'elle et que je prenne la main de Celia, cette fille dont j'ai senti qu'elle était là pour ça, qu'elle faisait partie de l'ordre des choses à sa manière, qu'elle n'était pas un corps étranger là pour me faire du mal à travers le désir qu'elle m'inspirait, mais qu'elle était là pour me dire quelque chose, que sa présence avait une valeur et avait un sens, que sa présence n'était pas une agression mais un petit signe du monde et de l'univers."

samedi 1 septembre 2012

C'est qu'on dort pas beaucoup

Histoire de libérer quelques précieuses demi-heures pour les siestes imposées par les nuits aléatoires de Lucie – le sourire qui apparait spontanément aux alentours de la troisième semaine permet à nombre non négligeable de nouveau-nés de ne pas passer par la fenêtre, parole de pédiatre –, on s'est mis à se faire livrer nos fruits et nos légumes à domicile. Les Boliviens au coin d'Hidalgo et d'Avellaneda nous amènent un gros carton avec leur diable et hop: voilà notre frigo famélique requinqué pour pas loin d'une semaine!

Première livraison: 51 pesos. Je sors un billet de ma poche droite – celle des billets de 100 – et le jeune homme en training me demande si j'aurais pas, par hasard, un peso: la monnaie, ici, même si ça va un mieux depuis que les bus ont finalement introduit la carte SUBE, ça reste quand même un problème. Je regarde dans mon autre poche et non, pas de bol: 85 centimes et quelques billets de 10. Mais l'autre penche la tête de côté en fermant les yeux – pas de soucis, mon gars, ça va comme ça –, prend ma petite monnaie et me tend un billet de 50 pendant que je sors de ma poche un billet de 100.

– Mais non, c'est bon, tu m'as déjà donné 100.

Il me les montre, comme si c'était à lui de prouver sa bonne foi: non, je suis pas en train de te faire une nouvelle arnaque à l'envers.

– Désolé, c'est qu'on dort vraiment pas beaucoup, ces temps...

On s'échange un petit sourire fatigué et mon livreur tourne les talons en s'appuyant de tout son poids sur son vieux diable aux roues de travers.