lundi 7 mai 2012

Lucie

Tu sais, Lucie, pendant qu'on faisait les cent pas, tous les deux, dans la suite 1114 de cette Clínica Suizo-Argentina où naissent tous les enfants de stars, pendant que je te chantonnais, à mi-voix, comme je pouvais, cette mélodie de l'Éternité et un jour que tu as écoutée depuis le début de ton existence dans ce minuscule corps, tout neuf, que la nature t'a prêté pour le tour de manège de cette vie-là, pendant que je regardais, depuis notre onzième étage, les toits de Buenos Aires coiffés de leurs lumières rouges diluées dans le brouillard de début mai, je me suis dit que tu étais en train de me montrer à ta manière, très chère senseicita, à quoi ça pouvait ressembler cette fameuse illumination.

T'avoir là, couchée au creux de mes mains, les jambes appuyées contre mon sternum histoire que tu te croies encore dans le ventre de Celia, te manger des yeux dans ce premier jour qui commençait à poindre au-dessus des eaux rousses du Rio de la Plata, ça m'aidait à voir à quel point ces idées bizarres de passé et de futur, d'ici, de là-bas et surtout de là-haut, c'était vraiment fait pour qu'on tourne en rond dans sa tête, fait pour serrer encore un peu plus ces petits nœuds qu'on a tous au fond du cœur, ces petits nœuds qui nous donnent l'impression qu'on existe et qu'on est vivants, alors que – tu as l'air de le savoir beaucoup mieux que nous – ça n'a bien entendu rien à voir.