dimanche 7 avril 2013

Un million de mantras – jour 12

Si je pleure, tu sais, c’est pas parce que je suis triste, je sais même pas pourquoi je pleure d’ailleurs: ça me fait plaisir que tu sois là, appuyée sur mes genoux au fond de ce dojo, c’est tout.

Le monsieur japonais très fatigué qui tape sur son tambour, pas trop fort parce qu’il a bien vu que t’étais là, c’est Gustavo: tu te rappelles, celui qu’on appelle aussi Aoki Sensei et qui était à la clinique le jour de ta naissance.

Le monsieur avec des rayons tout autour de la tête, le monsieur qui a l’air d’être en or juste derrière les cheveux courts courts courts de Gustavo, c’est Bouddha. C’est le même monsieur que celui qu’on a chez nous sur notre autel qui est sur la bibliothèque, sur le rayon juste au-dessus de tes jouets depuis que tu peux aller où tu veux à quatre pattes et à toute vitesse.

La dame qui s’est mise à genoux juste devant toi pour te prendre en photo, j’espère qu’elle te prend surtout toi et pas trop moi parce que j’ai le nez qui s’est mis à couler aussi, c’est Marina. C’est elle qui faisait des massages à maman pendant que tu étais dans son ventre et qui va te balader dans le parc de temps en temps. Ton gros éléphant rose, c’est elle qui te l’a donné.

Le monsieur japonais qui te fait des grands sourires, c’est Kao. Il a un autre nom, mais tout le monde l’appelle comme ça. Il a fait tout plein de fois le tour du monde pendant plus de dix ans et c’est le frère de Gustavo.

La dame qui essaie de pas trop nous regarder parce qu’elle pleure aussi, c’est Patricia. Elle vit dans le temple, elle aide Gustavo à mettre l’ail noir qu’il prépare dans des petits sachets en plastique, alors c’est un peu à cause d’elle qu’on a une odeur bizarre dans la bouche le matin quand on prend le petit-déjeuner. Patricia, elle est triste parce qu’elle a l’impression que quand on aura fini cette chanson, on va plus jamais chanter ensemble. Je pense qu’elle a pas raison, mais on verra bien.

La dame qui joue de la musique avec cette cuillère dans sa bouche, c’est Valeria. C’est la petite amie de Kao et elle vient du Chili, c’est le pays juste à côté de l’Argentine. Valeria, elle aime beaucoup lire dans les étoiles, un peu comme toi avec El Osito Peluchín ou bien Primeras Palabras. Dans les étoiles, elle voit la vie des gens, elle voit comment les gens sont liés avec tout l’univers et pourquoi ils pensent ce qu’ils pensent, pourquoi ils disent ce qu’ils disent, ils font ce qu’ils font, pourquoi il leur arrive ce qui leur arrive.

La dame japonaise qui s’est rapprochée et qui tape sur le crapaud en bois derrière mon dos pour s’amuser, c’est Nora, tu te rappelles? C’est elle qui va nous amener à l’aéroport et qui vient nous chercher quand on revient avec l’avion. Je crois que c’est une des personnes les plus gentilles que j’ai rencontrées dans ma vie.

La vieille dame qui fait passer le long collier de billes dans sa main qui tape sur le gong pour dire que la grosse boule a fait tout un tour – ça te fait sursauter, alors je te caresse le ventre en rythme –, c’est Eva. Le bouddhisme, c’est un peu comme pour moi, ça l’a jamais intéressé avant. Une fois, une de ses amies a entendu à la radio que c’était possible de découvrir le bouddhisme au Furaibo, alors elles sont venues les deux. L’amie a dit que c’était pas pour elle, mais Eva, elle, elle est restée. 

Le monsieur japonais avec une dent de devant en moins qui t’a pris dans les bras quand on est arrivés, c’est Sumyiori Sensei. Lui aussi, c’est un maître bouddhiste, comme Gustavo, mais il vit au Brésil – le Brésil, tu connais bien, mais seulement depuis le ciel... Il nous filme avec sa petite caméra depuis le début et c’est pour ça que je penche la tête pour te donner des bisous dans les cheveux parce que chaque fois que je pense à toi qui es là, sur mes genoux, à écouter des mantras, je recommence à pleurer fort.

Maintenant, je vais aller manger quelque chose et puis après on va rentrer à la maison pour ta sieste. Si je pleure de nouveau quand j’explique à Marina pourquoi je pleure, si je pleure encore dans le métro quand je vois que tu commences à t’amuser à te boucher les oreilles avec les deux mains pour que le bruit des rails soit plus là et pour que le bruit des rails revienne, c’est parce que je crois que j’ai compris pourquoi je pleurais et que ça me fait pleurer de penser à ça.

Ce mantra, tu sais, il est là pour te donner de la lumière quand tu as peur dans ton lit, pour te donner de la patience quand tu as faim et qu’on se dépêche pas assez maman et moi, il est là pour t’aider à garder tes yeux grands ouverts comme tout à l’heure, quand ils tournaient tout autour du dojo, ce mantra, il est là pour te tenir la main pendant toute la vie, même quand maman et moi on sera morts: ce mantra, c’est le plus beau cadeau que je peux te faire.