samedi 25 février 2012

On n'est pas du bétail!

Dans le subte A, une photocopie collée sur chaque porte: si vous voyez Lucas – photo de Lucas – qui n'est pas réapparu depuis la tragédie de Once, appelez tel numéro ou tel autre. Certaines personnes l'auraient vu sur une civière avec une minerve, mais il n'est enregistré dans aucun des hôpitaux de la ville. Tout à l'heure, juste avant la fermeture de la Tolva, des images de bataille rangée dans une gare de Once remplie de fumée me tirent de la correction du Bergstamm: les policiers antiémeutes chargent la foule. En bas de l'écran, on peut lire que, deux jours après l'accident, le corps de Lucas, 20 ans, a été retrouvé pris dans le soufflet entre deux wagons.

– Cristina, où es-tu? Cristina, où es-tu? Schiavi, démission! On n'est pas du bétail!

La présidente a déclaré deux jours de deuil national, mais a soigneusement évité de se prononcer sur les faits: pas loin d'un milliard de pesos investi par le gouvernement dans des travaux de modernisation "urgents" dont personne n'a jamais vraiment vu la couleur. Grâce aux subsides, c'est vrai, le billet coûte à peine plus d'un peso alors qu'il devrait coûter au moins quatre fois plus, mais une balade à la sortie des bureaux du côté de Haedo, dans la modeste banlieue ouest, évoque plus l'Inde que la "plus européenne des capitales d'Amérique latine". De son côté, Schiavi, ministre des Transports de son état, en a rajouté une couche sur cette "culture argentine" qui veut qu'on s'entasse dans les premiers wagons pour être bien sûr d'être dehors en premier...

Autre indice de la grande confiance accordée par les pendulaires à leur moyen de transport quotidien – et preuve indubitable de la véracité des dires de Schiavi –, un des passagers qui prend ce train tous les jours depuis plus de vingt, un vrai miraculé, a raconté comment il avait choisi de sauter par la porte ouverte – dans les métros aussi, les portes restent de temps en temps ouvertes entre les stations: ça fluidifie nettement l'entrée et la sortie des voyageurs – au moment où il avait compris que, non, ce train n'allait définitivement pas s'arrêter à temps. Il faut dire que cette ligne Sarmiento avait déjà fait parler d'elle il y a quelques mois quand un bus vert pistache de la ligne 92, qui avait slalomé entre les barrières baissées pour gagner un peu de temps, s'était fait pratiquement couper en deux par un train juste à côté de la gare de Caballito, à cinq blocs de chez nous: 11 morts, 200 blessés.

Ce matin, un des mécaniciens du Sarmiento a refusé de conduire son train dont les freins "n'allaient pas très bien" jusqu'à Once: les passagers on dû descendre et prendre le suivant. Par décret, la municipalité a pour sa part décidé de rouvrir la rue Mitre sur les deux blocs le long de la gare pour faciliter la circulation, en particulier des véhicules de secours. Cette rue avait été fermée pour y construire un monument commémoratif aux victimes du Cromañon, une disco qui avait brûlé en 2004 à cause d'un feu d'artifice lancé par un spectateur: 194 morts, 1400 blessés. Ibarra, le maire de l'époque, avait dû démissionner. La place Once, qui porte aussi le nom de plaza Miserere, le porte bien.