mardi 16 février 2016

Michel, mon voisin de chambre

Michel, mon voisin de chambre, attend son opération. Moi, je sors de la mienne et je joue avec la douleur qui monte et qui descend suivant les positions, suivant ma concentration sur le mantra que j’entonne à mi-voix et sur l’enseignement de Ramana Maharshi qui défile sur mon téléphone.

Très vite, la conversation polie prend un tour inattendu quand Michel se met à parler spontanément non seulement de Maharshi – c’est drôle, j’étais justement en train de le lire sur mon téléphone! – mais aussi de Nisargadatta Maharaj dont le recueil des entretiens trône à côté de notre autel et, cerise sur le gâteau, d’Ella Maillart dont il m’apprend qu’elle a suivi l’enseignement de ce dernier.

Michel bouge les bras en cercle dans son lit en parlant de Freud, de Jung, de son père et d’Arnaud Desjardins: sa chemise d’hôpital fait de lui un pasteur. Il a durant sa vie côtoyé l’intégrisme catholique, vécu en Inde, perdu sa femme appelée par le couvent de Gorazde, suivi les séminaires de Durkheim dans la Forêt-Noire, rencontré Ella Maillart et Jean Herbert.

– Mais vous avez cité une bonne partie de la bibliothèque dont j’ai hérité de ma tante!

Quand Gil, le maçon espagnol couché à côté de moi, fait un malaise et se débat au milieu d’une nuée d’infirmière, d’anesthésistes et de médecins, les larmes me montent aux yeux d’un seul coup: le sens de la vie qu’on évoque depuis une bonne heure se sédimente au bord de sa fin possible. Mais c’est une fausse alerte et, juste avant que Michel parte pour la salle d’opération, je dis à mon sage compagnon de chambre qu’il est certainement un illuminé.

– Vous croyez?

– Aucun doute là-dessus. Namoamidabutsu comme on dit par chez nous!