lundi 22 octobre 2012

Roberto

Roberto, son taxi, c'est aussi son magasin. Quand on s'assied, c'est Gustavo qui m'a raconté, il nous passe une liste avec différentes marques de parfum et, c'est ça qui nous intéressait avec Celia, des purificateurs d'eau, indispensables ici pour enlever ce goût de chlore qui s'accumule de jour en jour au fond de la bouche.

Le fait que Roberto ait plutôt l'air d'être un bon type rend le blâme un peu moins difficile, surtout quand on se rend compte que le filtre ne filtre pas vraiment, que le goût de chlore reste à peu de chose près le même et que le seul conseil qu'il nous donne quand je l'appelle en urgence est de faire couler l'eau un peu moins fort, parce que notre robinet a quand même beaucoup de pression et que le filtre n'a pas le temps de filtrer.

Cet été, pendant qu'on était loin, nos sous-locataires ont dû maltraiter le levier du connecteur parce qu'il s'est mis à faire une jolie petite fontaine qu'on se prend en général en pleine figure quand on essaie de faire passer l'eau par le filtre. Appel à Roberto, venue de Roberto, réparation de fortune parce que ça, non, il a jamais vu en passé vingt ans de travail avec cette marque. Absolument, il va voir ce qu'il peut faire: il nous rappelle dès qu'il a la pièce.

Mais il ne nous rappelle pas et, comble de malchance, sa petite réparation maison a bloqué le connecteur en position filtre, donc, plus possible de faire la vaisselle ou de se laver les mains à la cuisine.

Deux semaines plus tard, nouvel essai:

– Ok, je passe demain en fin d'après-midi, dès que j'ai une course près de chez vous. Je vous prête une pièce que je prends sur un filtre à moi pendant que j'essaie de réparer l'autre, parce que, tu sais, avec les restrictions d'importation, ces pièces-là, elles entrent plus.

– Je suis au courant: je suis déjà passé à la quincaillerie du coin. Mais... Il était pas censé être argentin, ton filtre?

– Le filtre, oui, mais pas cette pièce-là.

Roberto débarque en fin de dimanche avec une proposition nouvelle étant donné que son fils utilise pour des démonstrations le connecteur qu'il pensait nous prêter: il est d'accord de nous en vendre un qu'il a pris sur un de ses filtres neufs. Ça fera 200 pesos.

– Tu trouves pas que ça fait un peu beaucoup?

– C'est toi qui vois: moi, j'essaie juste de t'arranger.

– Mais le connecteur que t'embarques, tu le répares et t'en fais quoi?

– Je peux te le ramener si tu veux...

– À quoi tu veux que ça nous serve? Et puis, il coûte combien le filtre? 

– Quand tu l'avais acheté, 650. Maintenant, 800.

– Donc, ce petit connecteur, il fait le quart du filtre.

– C'est que, je t'ai dit: ces pièces, elles entrent plus. Et puis t'as qu'à faire taxer les gens qui sont restés chez toi...

– Mais, toi, on t'appelle, on te rappelle, tu viens pas...

– Tu vois, ma femme a le cancer, alors je cours entre l'hôpital et le boulot... Et puis, là, si tu trouves que ça a trop le goût de chlore, c'est parce qu'ils en mettent de plus en plus dans le réseau. Alors, comme je t'ai dit, t'as qu'à faire couler un peu moins vite – comme ça, là, pas plus vite – et puis tu peux aussi mettre l'eau un moment au frigo: moi, c'est ce que je fais.

– Une petite facture?

– Comment ça, une facture?

– Ok, ok: voilà tes 200 pesos. De toute façon, ce filtre, on va plus en avoir besoin longtemps.

– Ah oui, vous partez?

– Ouais, on retourne en Suisse: on en a vraiment super marre des plans du genre. Et puis, bon, c'est surtout pour la petite: un peu plus de verdure, du bon air, parce que la grande ville...

– Mais tu sais, ici, c'est comme ça: ils te changent tout le temps les règles et des fois tu dois assumer des trucs où t'es pour rien. C'est pour ça que les gens d'ailleurs, en général, ils ont un peu de peine à s'habituer...

– Allez, c'est bon. Bonne suite, bonne chance à toi et bonne chance à ta femme avec son cancer!

– À toi aussi. Et puis, alors... bon retour!