vendredi 6 novembre 2015

Comme en équilibre

Une note, de 2010:

"Après, dans le nouveau café que j’avais envie d’essayer depuis un moment, El Tranvía, je crois, près de la gare de Primera Junta, j’ai vécu un moment très fort de connexion.

Je regardais devant moi, les yeux mi-clos, comme quand je médite, les deux mains posées sur mon carnet, et je sentais l’espace visuel et sonore se courber autour de moi, je sentais que tout ne gardait pas les mêmes distances, les distances que m’indiquent d’habitude mes sens.

Quand j’essayais d’écrire tout ça, il se passait aussi quelque chose d’étrange avec mon stylo qui ne sentait pas vraiment la résistance de la page, ma main qui ne sentait pas vraiment la résistance du stylo, mon autre main qui ne sentait pas vraiment la résistance de la table. L’ensemble du monde changeait d’aspect autour de moi, ma perception du monde autour de moi changeait.

Bien sûr, par moments, je me sentais pas très à l’aise, je sentais le besoin d’ouvrir les yeux, de noter quelque chose sur mon carnet, parce que je sentais qu’on me regardait, que je sentais que la jolie serveuse à la quarantaine bien ferme et à la tresse noire très serrée me regardait, alors je n’arrivais plus tout à fait à me laisser aller à ce que je sentais, alors j’écrivais un peu, en me disant que je pourrais rentrer et me branler en pensant à la jolie serveuse, mais que c’était justement un truc pour me faire sortir de cet état alors que non, on allait rester encore un moment et qu’on verrait bien ce qui se passerait.

Je suis resté et il ne s’est rien passé de plus. Je suis seulement resté encore un peu dans cet état, comme en équilibre, en équilibre au bord de je ne sais pas trop quoi – mais, maintenant aussi, j’ai les yeux mi-clos et la sensation des doigts sur le clavier n’est pas habituelle."