mardi 25 février 2014

Petits bonheurs de la déclivité

Un note, de 2004:

"La rue pavée s’incline quelques mètres plus haut, en amont, juste avant de rejoindre le flot des citadines estivales clignant des yeux derrière leurs lunettes à la mode (plaques de verre fumé, larges, en dégradé cette année : différentes couleurs, existe aussi en irisé, mais c’est plus cher) au sortir du passage souterrain, caisse de résonance des rires, des éclats étonnés, éphémères, ou de différentes musiques à la joie poussive, issues d’un répertoire la plupart du temps disons restreint.

La déclivité prononcée (à laquelle s’adjoint, chez certaines, le port de talons peu propices aux pavés) accentue les démarches à la limite de la caricature : déraisonnables, les déhanchements font rebondir les poitrines sous les tissus fins régulièrement transparents, assez tendus, en tout cas, sur les globes de chair ferme (du moins présentée comme telle) pour laisser apprécier le braille des dentelles (ou alors le signe plus directement lisible des tétons agacés, ouh la la, par le textile).

Rangée de tables rondes parquées derrière une balustrade, modeste, la terrasse posée là, discrètement, sur le côté, en aval du confluant des deux marées mammaires (celle de la caverne et celle de la rue), constitue une station de choix pour tout mâle jeune, moins jeune et encore moins jeune, lecteur par prétexte (qui un journal, qui un roman qui, décidément, avance peu) mais buveur par plaisir.

Solitaire solidaire, pas au point, cependant, d’échanger avec l’un de ses voisins d’expectative des commentaires plus ou moins amènes, envieux ou, qui sait, sarcastiques, sur la morphologie de celles qui s’aventurent sur la déclivité périlleuse : chacun garde ses goûts pour lui, donc sa bonne conscience, donc le droit de rester quelques bières de plus sur ladite terrasse à baver dans l’intimité de sa propre bouche, bouche pendue à d’autres lèvres humectées d’autres liqueurs. Ceux qui n’aiment pas la bière sont, en effet, libres de boire autre chose. Mais là n’est pas la question.

À force de mater, l’une d’entre elles va bien finir par sortir du lot (il s’agira, alors, de sauter par-dessus la balustrade tout en se labourant les neurones à la recherche d’un prétexte d’accostage quelconque, ce qui n’est pas sans demander une certaine coordination des fonctions motrice et cognitive), être encore plus attirante que toutes les autres. Le problème se pose rapidement en d’autres termes : elles sont toutes, à leur tour, plus attirantes que toutes les autres, le temps que passe la suivante et que l’excitation rebondisse. Des donjuanismes carabinés ont été diagnostiqués pour moins que ça. Quant à l’internement, c’est une autre histoire. L’été."