Je me demande qui c’est, ce type à la boule à zéro assis juste en face de moi dans ce dernier métro presque vide. Il faut dire que ces derniers jours, j’ai commencé à m’intéresser de près aux crânes rasés et je me suis rendu compte qu’il y en avait vraiment dans tous les coins: on dirait qu’une bonne moitié des mecs de Buenos Aires sont passés sous la tondeuse.
Ça fait déjà quelques minutes qu’on se dévisage, les yeux dans les yeux, dans cette rame toute neuve et toute blanche, appuyés sur nos coussins verts qui commencent déjà à se décoller: ça n’a pas l’air de le déranger plus que moi. Le type – qu’est-ce qu’il a l’air sérieux, presque triste – écoute aussi de la musique: de mon côté, c’est le remix des milongas électro du Bajofondo Tango Club qui rythme le voyage sous terre jusqu’à ces mantras qui doivent, si j’ai bien fait mes calculs, taquiner les 200’000.
Pour les trois dernières stations à partir de Lima, il n’y a plus que nous. La clim doit être en panne et les vitres ne peuvent pas s’ouvrir: l’air est de plus en plus difficile à respirer. Le type en face de moi perd de l’épaisseur à chaque arrêt et finit par se volatiliser dans l’éclairage au néon du terminus, juste sous la place de Mai.