Une note, de 2004:
"Penchée en avant, sa tête exhibe la crénelure soigneuse de la ligne médiane intermittente qui sépare ses cheveux noirs mi-longs. Son visage confirme la méticulosité de sa coiffure : ses lèvres fines s’entrouvrent à l’appel des arcs inclinés de ses sourcils, son regard est à peine décalé, juste assez pour signifier à son vis-à-vis éventuel que son attention est focalisée dans sa périphérie, que la direction marquée par les pupilles est un leurre grossier qui ne fait que souligner un mépris curieux devenu constitutif à force d’être cultivé.
Elle tapote sur son portable du bout des ongles, comme pour l’encourager à faire entendre sa mélodie acide ou, plus probablement, à se tordre sur la table entre le verre et le cendrier sous les tressaillements de son vibreur. Visiblement peu efficace. Elle empoigne par dépit un journal qu’elle feuillette à l’envers, plus préoccupée par la souplesse et la régularité du mouvement des pages que par leur contenu, véritable chorégraphie de papier portée par le vibrato délicat des feuillets froissés. Exit journal, nouveau journal, bye bye journal : cymbale sèche du briquet en introduction à la seconde variation du clapotis d’ongles sur portable. Quelques bouffées molles, à peine audibles.
Ses orteils allongés se recourbent alternativement, seule partie visible de ce corps en mouvement. C’est maintenant au tour du profil d’être exposé par le jeu d’une nouvelle contenance qui consiste à fixer la porte du bistrot, au cas, sans doute, où la vibration du portable choisirait de se matérialiser sous la forme d’un jeune homme si possible avenant. Pas beaucoup plus efficace et surtout moins tenable. Il ne reste à la jeune fille qu’à se lever, glisser subrepticement son téléphone dans son sac à la mode et à fondre en douceur sur ladite porte pour disparaître en ne laissant derrière elle que quelques mégots et des traces de salive sur une paille verte, traces qu’un autre se serait empressé de goûter."