Ce matin, comme souvent, le réveil est difficile: l’entier du monde qu’il faut réapprivoiser après une nuit à se balader ailleurs, ce contrôle à retrouver, cette absence de contrôle à admettre. Et puis, petit à petit, à chaque tour du lac au milieu des pelouses du parc Centenario, l’idée fait son chemin suivant laquelle le monde est très bien comme il est, qu’il fonctionne en harmonie, que je fais partie de cette harmonie et que, par conséquent, je n’ai pas beaucoup à m’en faire.
Après la demi-heure d’assouplissement, c’est donc baigné d’une grande sérénité que je donne un coup de main à mon cher ami Rodo pour filmer les quelques exercices d’étirement qu’il veut mettre sur YouTube et sur Facebook. Il faut trouver un endroit sans trop de lumière pour son vieux Kodak et prendre soin de bien bloquer le trépied qu’il a acheté pour 25 pesos – Si, je t’assure, 25 pesos! – à la brocante du dimanche autour du parc. Je dois lui faire signe à la fin de la première, de la deuxième et de la troisième minute: tous les professionnels s’accordent sur le fait qu’il ne faut pas dépasser trois minutes pour un film de présentation sur Internet.
Du premier coup, très concentré, Rodo montre ses trois exercices en se fendant de quelques commentaires laissant sous-entendre qu’il connaît parfaitement son affaire. Moi, un peu inquiet, je regarde le soleil en train de poindre dangereusement au-dessus des frondaisons qui ont survécu à la tempête d’il y a deux semaines, je me penche au niveau de l’appareil pour constater que tout est en ordre et je lève trois doigts au ciel: Rodo termine son intervention avec un sens consommé de la synthèse et j’appuie sur bouton pile au moment où le bâton qui lui sert à montrer ses exercices est parfaitement horizontal. C’est paqueté: 3 minutes 22.