Mais oui, c'est bien elle, en train de sortir de l'ombre du passage sous-voie, de monter tranquillement vers ce quai de la gare de Morges où j'attends mon Régional Express pour Lausanne, elle qui me fait un sourire d'abord hésitant et puis un vrai sourire: la Caudélia du Bergstamm!
Comme on a deux minutes – elle prend un autre train, juste après, pour Yverdon –, je lui résume les dernières années en trois phrases: toujours Buenos Aires, toujours les cours à l'UNIL, Lucie, quatre mois et demi, grande comme ça. Caudélia fait son résumé à elle pendant que mon train entre en gare et moi, je lui dis que j'ai justement dans mon sac orange deux exemplaires du manuscrit de mon dernier roman que je vais – quelle coïncidence! – envoyer à un concours en Suisse vu que les lettres de refus de France s'accumulent, roman qui raconte l'histoire de Dieu qu'on appelait Dieu parce que c'était le seul écrivain suisse à avoir eu le Goncourt...
– Mais c'est pour ça que ça les intéresse pas, en France!
– L'histoire de Dieu et de Caudélia qui choisit de le quitter pour sortir avec Walter Bergstamm: tu me donnes ton mail?
– Euh... oui... T'as un stylo? Bien sûr que t'as un stylo: un écrivain, ça a toujours un stylo! S'il te plaît, le train, tu attends! Voilà. T'es là encore longtemps?
– Jusqu'à mardi, ça va faire un peu juste pour se croiser...
– En effet...
– Alors: à bientôt!
– Oui, c'est ça, à bientôt! Embrasse bien tes femmes de ma part! Et... Bonne chance pour ton roman!