Histoire de libérer quelques précieuses demi-heures pour les siestes imposées par les nuits aléatoires de Lucie – le sourire qui apparait spontanément aux alentours de la troisième semaine permet à nombre non négligeable de nouveau-nés de ne pas passer par la fenêtre, parole de pédiatre –, on s'est mis à se faire livrer nos fruits et nos légumes à domicile. Les Boliviens au coin d'Hidalgo et d'Avellaneda nous amènent un gros carton avec leur diable et hop: voilà notre frigo famélique requinqué pour pas loin d'une semaine!
Première livraison: 51 pesos. Je sors un billet de ma poche droite – celle des billets de 100 – et le jeune homme en training me demande si j'aurais pas, par hasard, un peso: la monnaie, ici, même si ça va un mieux depuis que les bus ont finalement introduit la carte SUBE, ça reste quand même un problème. Je regarde dans mon autre poche et non, pas de bol: 85 centimes et quelques billets de 10. Mais l'autre penche la tête de côté en fermant les yeux – pas de soucis, mon gars, ça va comme ça –, prend ma petite monnaie et me tend un billet de 50 pendant que je sors de ma poche un billet de 100.
– Mais non, c'est bon, tu m'as déjà donné 100.
Il me les montre, comme si c'était à lui de prouver sa bonne foi: non, je suis pas en train de te faire une nouvelle arnaque à l'envers.
– Désolé, c'est qu'on dort vraiment pas beaucoup, ces temps...
On s'échange un petit sourire fatigué et mon livreur tourne les talons en s'appuyant de tout son poids sur son vieux diable aux roues de travers.