Qui es-tu, au fond, vraiment, petite Lucie? Qui es-tu, au fond, vraiment, chère Celia? C’est ce que je me demandais en vous regardant dormir à côté de moi sur cet interminable lit de l’Intercontinental de Buenos Aires, dans cet espace indéfini qui aurait dû correspondre au milieu de l’Atlantique, mais qui se trouvait à même pas vingt minutes de métro de chez nous.
L’oreiller qui coupait ton visage en diagonale, Celia, te donnait une expression que je ne te connaissais pas: je regardais une autre femme, comme si ce 747 en panne et ces deux nuits de luxe offertes généreusement par Lufthansa me donnaient une attention nouvelle, aiguisée, qui ne pouvait se reposer sur aucun de nos quotidiens, ni celui de Suisse, ni celui d’Argentine.
Souvent, je joue au petit jeu des vies antérieures. Sans aller jusqu’à nous inventer des biographies, je nous imagine à d’autres époques, dans d’autres situations, réunis dans des constellations différentes. Là, au milieu de ces beaux draps blancs, en regardant frémir vos lèvres et vos narines dans le premier soleil de ce quinzième étage de San Telmo, je pouvais voir, simplement, sans effort, toutes ces vies à la fois.