Une note, de 2010:
"Hier soir, en revenant de l’expo d’Anahí à Ramos Mejía, j’ai juste loupé le train, alors je suis allé faire le tour de la place devant la gare et je me suis arrêté devant une grande église avec une longue antenne juste derrière, une antenne avec des points rouges éparpillés sur sa longueur. Quelque chose m’a touché dans cette vision, je ne sais pas trop bien quoi et je n’ai pas vraiment cherché à en savoir plus, mais je me suis rendu compte, comme l’autre soir à Villa Adelina, que l’important, c’était la vision que j’avais eue, la perception que j’avais eue, pas que ce soit une église en faux vieux éclairée aux spots jaunes et une antenne à moitié pourrie dans la banlieue de Buenos Aires.
En y repensant en attendant le train, je me suis de nouveau étonné devant la simplicité de cette découverte, je me suis dit que ça ne pouvait pas être si simple que ça, mais que c’était sans doute parce que ça me semblait simple, parce que ça me semblait trop simple, que c’était juste. En réfléchissant un peu plus loin, je me suis dit que je m’ajoutais en général une autre couche problématique, une couche qui m’empêchait de voir cette couche plus simple: celle de la recréation, de la restitution de ce que j’étais en train de sentir. Comment l’écrire? Comment le rendre? Comment le faire passer plus loin? Comment le garder? Alors, du coup, bien sûr, ça devient compliqué, parce que j’essaie de décomposer ce qui est en train de se passer en moi pour mieux le comprendre et pour mieux le recréer. Je déconstruis en petites pièces que j’étiquète soigneusement et après je suis étonné de ne pas être capable de remonter le tout...
Alors que le meilleur moyen de peut-être pouvoir en faire quelque chose – mais est-ce qu’il faut vraiment en faire quelque chose? – c’est encore de le vivre pleinement et de faire confiance au moment pour qu’il resurgisse dans l’écriture, à sa manière, avec la forme qui était la sienne à ce moment-là, forme qui a su me toucher, à laquelle j’ai su être sensible, cette forme qui a su entrer en moi, que j’ai laissé entrer en moi. Je crois que c’est une des choses qui m’empêchait d’arriver au centre de la sensation, cette volonté de tout de suite vouloir me l’approprier, de tout de suite vouloir en faire quelque chose, de tout de suite pouvoir la faire mienne, faire que cette sensation soit mienne, oui, c’est ça, m’assurer de pouvoir lui donner une forme, lui donner ma forme, pour être bien sûr qu’elle soit mienne. Alors que cette sensation, toutes les sensations, ne sont ni miennes ni pas miennes, elles sont.
Toute volonté d’appropriation est une mise à distance, toujours. Ce que je rapproche de moi, je le mets à distance de tout le reste et je nous mets, dans le même geste, à distance de tout le reste. En enlevant cette chose au reste, je m’enlève au reste aussi. Quand je veux me rapprocher d’une chose, d’un être, je me mets à distance du reste. Donc, dans la mesure du possible, laisser les choses en l’état, ne pas chercher à en faire quoi que ce soit sur le moment, ni même à y être plus disponible. Ce qui doit ressortir ressortira, par le même chemin, par la disponibilité à la pensée qui se présente devant l’écran. Ce n’est pas une question de prévision, ce n’est pas une question d’aller pêcher le souvenir, c’est être là quand ça se passe, là quand ça revient. Entre les deux, il n’y a que moi et même ce moi n’est plus le même moi."