En voyant ce beau coucher de soleil sur le Léman depuis l’autoroute, j’ai repensé à cette insuffisance du rapport au monde dont parlait François et je me suis dit que non, décidément, l’écriture n’allait plus me servir à la combler. Savoir que je vais essayer d’écrire le moment que je suis en train de vivre dans l’idée de le vivre de manière plus pleine et plus entière est certainement un des meilleurs moyens pour ne jamais vivre ce moment-là, ni dans son présent ni dans le présent de son écriture.
Quand j’avais interviewé Serge Merlin dans son appartement parisien rempli de plantes vertes et de vieux miroirs piqués – une autre chambre avait soi-disant abrité jusqu’à peu une bonne centaine d’oiseaux, mais il ne me l’avait pas montrée –, l’acteur m’avait non seulement interdit de l’enregistrer, mais, après deux bonnes heures de causette – sa rencontre avec Beckett, sa rencontre avec Camus, Amélie Poulain, le minimalisme dans l’occupation de la scène – arrosées au whisky de 20 ans d’âge, pour moi, et au thé vert, pour lui, il m’avait regardé en ouvrant très grand les yeux:
– Soyez avec moi, jeune homme! Posez ce carnet!
Quand j’étais sorti de chez lui une heure plus tard, j’avais pris un café au bistrot du coin pour pouvoir soulager ma vessie malmenée et j’avais sauté dans mon TGV pour Lausanne au moment où ses portes se fermaient. Sans attendre une seconde, j’avais ouvert mon MacBook dans l’idée de mettre noir sur blanc ces paroles définitives avant qu’elles ne disparaissent à jamais dans des brumes imprécises, mais mes doigts s’étaient obstinément refusés à composer le moindre mot ressemblant de près ou de loin à du français.
L’article, pourtant, s’était écrit tout seul, le lendemain, et c’est sans aucun doute un de ceux que j’aurais le plus de plaisir à relire.