Je pose mes sacs sur le siège du train pour Morges, j’accroche ma veste noire par son capuchon au crochet entre les fenêtres au-dessus des sièges et je m’assieds dans le sens de la marche. Autour de moi, les quatre sièges sont libres. Je sors le chargeur de mon portable et je le branche dans la prise juste sous le capuchon de ma veste. Je sors de mon sac un polar et je me mets à lire, un peu vite, en ne gardant à l’esprit que les articulations principales de l’histoire.
Un homme arrive dans le couloir en face de moi. Il voit que la place est libre et me fait un geste de la main vers la place en faisant une moue interrogative. Je lui dis que la place est libre, il s’assied. Je m’intéresse à son visage, des rides marquées autour de petits bourrelets ronds, des yeux bleus, très clairs. Il doit avoir plus ou moins mon âge. Sa présence me trouble, je ne sais pas bien pourquoi.
Il répond à un appel sur son portable. Sa voix me semble connue, mais de très loin. Il parle de clés à prendre, essaie de fixer un rendez-vous avec la personne qu’il a au bout du fil. Il raccroche. Il appelle quelqu’un d’autre. Il se met à parler de musique, d’un local dont il va recevoir les clés demain. Je me souviens d’un coup : il s’appelle Dominique, il est batteur, nous avons joué dans le même groupe il y a plus de vingt ans.
Ce groupe allait enregistrer un morceau pour un concours proposé par Marlboro, ils avaient besoin d’un flûtiste, ils nous avaient jeté, le batteur et moi, après plusieurs mois de répétitions, quelques semaines avant l’enregistrement. De nouveaux musiciens, des vrais pros, nous avaient remplacés. Le groupe, Latitude, avait gagné le concours et le morceau que nous avions répété passait plusieurs fois par jour sur Couleur 3.
Je veux parler à Dominique. J’attends qu’il termine son téléphone. Le train arrive à Morges. Dominique continue son téléphone. Je ne vais pas l’interrompre. Je me lève. J’attends le dernier moment pour sortir du train. Dominique est toujours au téléphone. Je lui jette un coup d’œil. Il téléphone encore, il ne me regarde pas. Je descends du train.