Un día perfecto, Un jour parfait, tu te souviens? Ce roman de Rabanal que j’avais traduit d’une traite à Buenos Aires, cette traduction pour laquelle j’avais eu besoin d’un coup de main parce que je sentais bien que des endroits sonnaient faux, parce que je ne savais pas trop quoi changer. Alors je t’en ai parlé et puis tu as dit D’accord, ça me fera plaisir de t’aider, ça me changera les idées, parce que tu étais déjà malade.
Comme d’habitude, toi qui ne fais rien à moitié, tu as pris les choses à coeur: tu as lu, tu as relu, chaque phrase, chaque paragraphe, tu as noté une ribambelles de propositions dans la marge, Bon voilà, effectivement, peut-être une virgule, plutôt ici que là, on dirait pas comme ça en français, on entend un petit peu l’espagnol tu crois pas, moi j’utiliserais plutôt ce verbe ou alors je mettrais les mots dans cet ordre-là, c’est mieux non?
Là, maintenant, à côté de toi, avec ta vie qui s’accroche, avec ta vie en train de s’en aller à chaque respiration, je me dis que c’est ça que tu me laisses: cette volonté d’aller jusqu’au bout, de faire entièrement chaque chose que j’entreprends. C’est aussi pour ça que j’ai voulu t’accompagner jusqu’au bord de ton dernier lit, toi qui déjà n’est plus vraiment là derrière ces respirations mécaniques, ces respirations qui s’emballent, qui se noient, qui reviennent, ces respirations du milieu de la nuit.
Ta mort que je peux voir arriver de souffle en souffle, ta mort qui va prendre sa place, qui me rappelle qu’elle viendra pour moi aussi, bientôt, comme ça ou différemment,ta mort qui est là pour donner de l’importance à chacun des moments de ma vie, de la vie, de notre vie, ta mort, c’est ton dernier cadeau. Par cette fin que tu m’offres, cette fin que tu me montres – et tu insistes: ça se finit comme ça et pas autrement –, tu me donnes les clés pour démonter chacune de mes peurs, pour démonter même la plus grande, la peur de ne plus être, tu me donnes les clés d’une vie dans le bonheur.
Bien sûr, tu vas me manquer, tu vas tous nous manquer, mais tu es déjà là dans cette brume au-dessus des vignes, dans ce soleil en diagonale à travers les nuages noirs, tu es là dans le lac, tu es là dans les montagnes, tu es là dans chacun des arbres des forêts qui l’entourent, là dans ce jour qui t’a installée dans l’entier de la vie.